Ils sont grands ces petits

Yves Desrichard

Dans L’homme qui rétrécit, chef-d’œuvre de Jack Arnold tourné en 1957  1, à la fin du film, le héros, Scott Carey, après un mémorable et terrifiant combat avec une araignée, accepte enfin sa destinée, et part à la rencontre de l’infiniment petit, toujours en vie. C’est à d’aussi prodigieuses explorations dans le « petit » des bibliothèques que le Bulletin des bibliothèques de France invite ses lecteurs.

Commençons, une fois n’est pas coutume, par un (petit) exercice d’humilité : on est toujours le petit de quelqu’un ; et le grand, si l’on va par là. « Quand je me considère, je me désole, mais quand je me compare, je me console. » Comme c’est vrai ! L’humilité est une grande vertu. Elle permet de se dépasser, sans jalouser l’autre. Mais en le jaugeant quand même.

Surtout, et le « small is beautiful » est inévitable, à l’ère concentrationnaire (je veux écrire : de concentration) du XXe siècle, le XXIe semble vouloir substituer un univers plus dilué, plus atomisé, avec quelques bons signes, ici et là, comme la fréquentation en baisse des super et autres hypermarchés, et les parts d’audience en berne de telle ou telle grande chaîne de télévision généraliste. On a, certes, les satisfactions que l’on peut. Mais ce sont, aussi, des tendances.

Il n’est plus question, aujourd’hui, que de proximité, de personnalisation, de sur-mesure. Certains contournent habilement ce qu’il faut bien appeler (signe des temps) un « problème » en proposant, oxymore comme seule la science du marketing pouvait en inventer, « la standardisation de la personnalisation ». On peut penser que cela marche pour les téléphones portables, pour les voitures, pour les pavillons de lointaine banlieue. Pour les bibliothèques, c’est moins sûr. Et ce n’est pas, résolument pas, souhaitable.

La diversité des approches, des situations, des solutions, des inconvénients, des bénéfices, des ratages (où ça ?), des réussites, des espoirs, des déceptions, qui s’épanouissent dans ce numéro en convaincra plus d’un, plus d’une, et laissera les indécis au moins déroutés : il n’y a pas de modèle, entre contraction et expansion, entre durcissement et dissolution. Il n’y a que des chemins et, comme Scott Carey, ce qui compte, c’est d’accepter sa destinée. D’être toujours en vie.

C’est dans les Pensées de Pascal que nous sommes allés puiser le plan de ce dossier. Entre le principe des choses et leur fin, se cacheront petitesses et étendues : celles de la bibliothèque, « un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant, un milieu entre rien et tout  2 ».

« Se fondre dans le grand tout  3. » C’est ce qu’on souhaite aux lecteurs de ce numéro, et aux usagers de toutes les bibliothèques, de France ou d’ailleurs, qui viennent y chercher plaisirs et instruction, contents de ce qu’ils y trouvent – même si ce n’est, et c’est déjà beaucoup, que la bibliothèque minimale.

Ce numéro est dédié à Philippe Besnié.