Technomedia

Jeunes, musique et blogosphère

par Simon Cane

Anne Petiau

Bordeaux, éditions Mélanie Seteun, 2011, 138 p., 22 cm
Collection « Musique et société »
ISBN 978-2-913169-28-9 : 14 €

Le titre ne veut rien dire tant qu’on n’a pas lu le livre, le sous-titre n’est pas exact, le résumé risque de ne pas rendre compte de l’intelligence de ce petit livre de la sociologue Anne Petiau.

Il examine un phénomène daté, celui de la Tecktonik, genre de danse électro prisé des adolescents et particulièrement mis en valeur dans les médias pendant l’été 2007. Anne Petiau a mené une enquête qualitative approfondie, incluant une abondante consultation des réseaux sociaux sur internet.

L’origine artistique et culturelle des danses électro est d’abord étudiée, depuis la house, la techno et les influences de la disco et du hip-hop ; leurs caractéristiques propres et leurs différents genres sont détaillés à la lumière de pratiques sociales adolescentes incluant « un culte du corps très contemporain ». Le creuset de la Tecktonik a été le Métropolis, vaste discothèque de Rungis dont les directeurs artistiques ont importé des pratiques de deejaying du Bénélux dès 2002, puis fondé et déposé la marque Tecktonik. Ensuite, les majors se sont greffées sur le phénomène. Il ne faut toutefois pas en faire un simple évènement commercial. Ce sont les pratiques des jeunes – danses et musique – et leur sociabilité qui ont créé le mouvement pour l’essentiel, en ont fait une véritable sous-culture (les sous-cultures sont définies sans jugement de valeur comme « ensembles cohérents de valeurs, d’attitudes, de styles musicaux et vestimentaires, de significations accordées au monde environnant »), même si cette sous-culture des danses électro n’est en rien critique et vise au contraire à l’autopromotion aussi bien interne à la classe d’âge que vis-à-vis des grands médias dont les codes sont connus et acceptés. La professionnalisation des danseurs n’est toutefois que marginale dans cette vague des danses électro qui correspond à la fin de la préadolescence et à l’adolescence et a tendance à s’effacer des préoccupations des plus âgés. Anne Petiau décrit en détail les modes de sociabilité à l’intérieur de cette sous-culture (teams, contacts par messagerie instantanée ou SMS, etc.) et insiste sur le rôle fédérateur des blogs, en particulier des skyblogs. Il existe un lien fondamental entre la pratique de la danse électro et l’utilisation de ces médias qui permettent à chacun d’attirer l’attention sur soi et d’accéder à « son quart d’heure de célébrité » prédit par Andy Warhol.

Une complexité insoupçonnée

Anne Petiau montre la complexité insoupçonnée des phénomènes qui interagissent dans une sous-culture comme celle des danses électro. Elle contextualise et historicise l’objet de son étude en portant son regard sur les vagues successives de contre-cultures ou de sous-cultures, notamment dans le domaine musical, sur la structuration des industries du loisir culturel, sur l’évolution des médias et le rôle d’internet auprès des adolescents. On peut lui reprocher de développer inutilement certains aperçus historiques (sur les industries culturelles ou sur internet, par exemple), mais c’est peu de chose. Au-delà de la Tecktonik, l’intérêt de son propos est dans ce qu’elle décrit rigoureusement un type de phénomène culturel en constant renouvellement dans des classes d’âge voisines de l’adolescence, et donne des outils pour appréhender sans a priori ces cultures jeunes dans toutes leurs dimensions en évitant approximations et sensationnel.

Le bibliothécaire qui veut réfléchir à ses pratiques avec un public adolescent n’oubliera pas qu’il s’agit d’une étude qualitative et non quantitative, mais il aura tout intérêt à la lire, il y passera moins de temps qu’à la méditer.