C'était demain
Yves Desrichard
Personne n’aura oublié – et ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé –, que c’est en prônant un « retour aux fondamentaux » que le demi-dieu Aimé Jacquet porta, ce soir du 12 juillet, l’équipe de France de football à la victoire, lors de la Coupe du monde du sport du même nom, en 1998. C’est à un exercice plus modeste d’ampleur, mais tout aussi décisif dans ses objectifs, que le Bulletin des bibliothèques de France entraîne ses lecteurs (sportifs ?) dans le présent numéro.
Certes, pour puiser à une tout autre source, la nostalgie n’est plus ce qu’elle était. Notre époque, qui vit dans un présent de moins en moins présent, et dans un futur qu’elle craint, ne se tourne vers le passé que sur l’air, binaire, du « c’était mieux avant » ou, pour faire court, du « retourner à la lampe à huile ». Comme si le passé, et ses leçons, qu’on est condamné à revivre si on ne les apprend pas, ne pouvait s’imaginer que dans un registre excessif de répulsion ou d’adoration.
Cela faisait partie de la commande passée aux contributeurs : s’essayer à regarder à l’aune du présent et du futur les textes puisés, et les auteurs évoqués. Apporter un éclairage historique, un « replacement dans le contexte » qui manque si souvent, désormais, dans nos lectures, et contribue à nombre de méprises, d’abus, de tromperies – d’ignominies parfois. Mais, comme si on pouvait faire autrement, regarder d’aujourd’hui, et vers demain, car le BBF n’a pas – d’autres le font bien mieux que nous – à s’égarer trop pesamment dans l’histoire des bibliothèques et de la documentation.
L’exercice fut difficile, monsieur. Parfois réussi : certains textes dont il est rendu compte ont l’air d’avoir été écrits aujourd’hui. Certains même, demain. Et certaines personnalités ne peuvent qu’éblouir, de leur pseudo-modernité : en fait, c’est qu’ils, ou elles, ne seront jamais démodés. Parfois moins réussi : certaines lampes semblent décidément à l’huile. Mais l’interroger, le constater, est aussi un engagement fécond, qui permet de grandir en sagesse et en humilité. Combien de gourous, combien de capitaines d’aujourd’hui, seront dépassés, avant même, disons, les vacances d’été ?
Au binaire de certains regards, le Bulletin, iconoclaste, préfère le rythme ternaire, approprié à la valse, au concerto et, à ce qu’il semble, à des interventions qui célébreront les anticipations de certains, conforteront certains textes « qu’il faut avoir lu », sans qu’on sache trop pourquoi (maintenant, vous saurez), et déploreront, avec attendrissement, les obsolescences d’autres, mais toujours dans le souci d’éclairer, sans juger.
Un mot ou presque pour conclure : ce qui frappe, à l’épure, c’est que les textes sont avant tout des femmes et des hommes et, ensuite, des textes, et les uns et les autres s’entrelacent, correspondent et se correspondent. Puisse, dans ce numéro comme dans d’autres, le Bulletin aider à ces mêmes rencontres, autour de contributions qui, pourquoi pas, seront aussi, un jour, des « textes fondateurs ».
* Une partie des illustrations de ce numéro ont été gracieusement fournies par les éditions Gallimard, que nous remercions vivement.