Les hôtels de la Guerre et des Affaires étrangères à Versailles
Paris, Nicolas Chaudun, 2010, 280 p
ISBN 978-2350390918 : 39 €
Bâtis entre 1759 et 1762, à l’initiative de l’ingénieur géographe Jean-Baptiste Berthier, « sans qu’il en coûtât rien au Roi », les Hôtels mitoyens de la Guerre, et des Affaires étrangères et de la Marine, à Versailles, sont parmi les premiers bâtiments conçus spécifiquement pour abriter bureaux et archives d’une administration publique. Construits grâce à une innovation technique, la voûte plate en briques, qui assure à l’ensemble solidité, légèreté et protection contre l’incendie, décorés avec une « magnificence utile » (Horace Walpole) qui reflète à la fois le prestige des relations extérieures de la France et la sobriété qui sied à l’administration, ils ont eu la chance de connaître une destinée relativement cohérente : l’Hôtel de la Guerre, après avoir servi de caserne, puis d’École du Génie, abrite la Direction centrale du Service d’infrastructure de la Défense. L’Hôtel des Affaires étrangères et de la Marine est devenu la Bibliothèque municipale de Versailles.
Après une première partie qui retrace la construction des bâtiments et le fonctionnement des trois ministères, l’ouvrage se consacre longuement à l’histoire et aux collections de la BM de Versailles. Comme toujours en pareil cas, l’histoire est à la fois singulière et représentative. Singulière par la provenance illustre et la qualité exceptionnelle des collections, représentative de l’histoire de presque toutes les bibliothèques municipales aux XIXe et XXe siècles : dépôts révolutionnaires, intégration à l’école centrale du département, accroissements par dons et legs, catalogues inlassablement améliorés (on retient l’idée de les faire recopier par des prisonniers…), perturbations dues aux trois guerres, débuts de la lecture publique, doutes savoureux sur le statut des « mauvais » romans. L’ouvrage, de très belle facture, répond parfaitement à la loi du genre : auteurs spécialistes du sujet, articles irréprochables d’érudition, encarts présentant les plus belles collections, prosopographie des conservateurs, splendeur des reliures et des estampes, qualité des reproductions, luxe et poids du papier, natures mortes bibliothéconomiques (ah, les reliures rares artistement empilées sur la grande table…). Malgré le plaisir des yeux et l’intérêt jamais démenti de la lecture, l’ensemble, on l’avoue, suscite un certain malaise : cette belle peinture d’une caverne aux trésors, dont les heureux conservateurs n’ont rien de mieux à faire que de « caresser de belles reliures, s’attarder sur l’art de l’imprimeur du XVIe siècle, tirer de leurs cartons quelque plan ou estampe » (p. 215) donne l’image, forcément trompeuse, d’une Somptueuse Endormie, où rien ne se serait passé depuis les années 1950 : c’est donc ça, une bibliothèque ?
Noëlle Balley