Façons de lire, manières d’être
Marielle Macé
Coll. NRF Essais
ISBN 978-2-07-013303-1 : 18,50 €
Voici un livre dont la lecture est susceptible d’intéresser chacun tant les pistes ouvertes par Marielle Macé sont nombreuses, à condition, cependant, de partager son hypothèse de départ, à savoir que « la lecture n’est pas une activité séparée qui serait uniquement en concurrence avec la vie ».
L’on y croise, par exemple, Proust, Rilke, Flaubert, Roquentin (La nausée), Julien (Le Rouge et le Noir), mais aussi Levinas, Foucault et surtout Barthes. Il s’agit donc, pour Marielle Macé, d’élaborer une théorie du texte (littéraire) qui articule « façons de lire » et « manières d’être » et qui se distingue de celles qui mettent en relation « les œuvres » et les « formes de vie » sans prêter attention à ce « maniérisme subtil des pratiques ».
Ce sont les perceptions du lecteur qui font l’objet des premières interrogations de l’auteur pour qui les livres offrent des « possibilités d’expérience d’existence » orientant la vie des lecteurs. L’« aventure personnelle de lecture » est alors examinée, associée à la « sensation de ralenti » (expression empruntée à Jean-Christophe Bailly), aux moments où on lève les yeux de son livre. Livre qui est envisagé comme un « balcon » offrant un « cadre particulier de saisie ». L’acte de lecture est, selon Marielle Macé, un acte de retranchement dont témoignerait si justement le jeune Marcel (Proust) lorsqu’il tente et parvient à s’isoler des autres pour poursuivre sa lecture 1. Mais « l’aventure de lecture » est aussi une « quête d’un apprivoisement de l’altérité » ; aussi la lecture apparaît-elle comme un acte d’individuation, mais constamment réorienté par les textes lus.
Le deuxième moment du livre est consacré au rythme du temps. Celui-ci est entendu comme la relation de la lecture au temps, c’est-à-dire « l’écoulement des événements » du livre tandis que le lecteur est pris dans sa propre durée. La lecture peut alors offrir « un petit tour dans l’avenir », dévoiler « ce qui aurait pu être », un « possible » mû par l’espérance ou, à l’inverse, marqué par la tristesse, selon les âges de la vie. « La lecture est donc l’occasion d’un dialogue complexe et toujours situé avec la question de la vie comme forme et comme forme motivée. » C’est ici que Marielle Macé se tourne vers Ricœur et « l’effet-retour de la lecture narrative sur le “soi” ». Faisant appel à des métaphores, l’auteur se penche alors sur ce qu’elle nomme des « transfusions » de temps et des « hémorragies » de durée. Les premières valent pour ce que révèle l’expérience textuelle du temps, à savoir un manque ; les secondes sont des sortes de perte de vitesse, dont rendrait compte Sartre dans La Reine Albermarle ou le dernier touriste 2 et qu’illustrent aussi, selon lui, ces « poètes dégagés », incapables de « s’inscrire dans le cours vibrant de l’histoire ». Toujours sensible au « maniérisme », Marielle Macé montre comment la lecture est « l’effort complexe d’une élaboration de soi dans le temps ».
Ultime étape du parcours proposé : celui des modèles qu’il faut comprendre comme une « rencontre de nouvelles formes » qui augmente « la capacité de circuler du lecteur », c’est-à-dire la capacité de rencontre de « propositions formelles que les œuvres ont avancées comme de véritables manière d’être ». Marielle Macé cite alors Barthes selon qui « nous sommes tous des Bovary », nous nous « laissons mener par des phrases d’autrui comme des leurres ». À l’appui de sa thèse, l’auteur évoque, notamment, des œuvres aussi différentes que celles d’Ernst Bloch, Giorgio Agamben, Pierre Pachet ou Jacques Rancière.
Ainsi, « les lecteurs, dans la vie, s’approprient les formes qui les touchent pour en faire, ou pas, leurs formes propres » ; la lecture apparaît alors soit comme un devenir-modèle, soit comme un contre-modèle qui « donne un style à l’existence ».
La lecture du livre de Marielle Macé (qui est une théorie du texte) apporte une multitude d’éclairages (des formes) littéraires. On constate que les manières d’être examinées par l’auteur s’inscrivent dans une « institution esthétique de soi » qui met de côté d’autres manières d’être qui, quoique parfois esquissées, ne font pas l’objet d’un examen attentif. Ne sont pas explorées en tant que telles les pratiques ordinaires, les pratiques autres que celles de soi qui seraient susceptibles de révéler une puissance de la lecture débouchant sur l’action.