Atelier du livre « Le couple auteur/éditeur »
Céline Clouet
À l’occasion de l’exposition « Gallimard », la Bibliothèque nationale de France a proposé une journée d’étude consacrée au couple auteur/éditeur 1, le 16 juin dernier. Les intervenants, historiens, éditeurs et avocats se sont intéressés aux relations complexes qui unissent l’auteur à son éditeur. Ils forment un véritable couple dans le sens où rencontres, disputes, contrats et séparations rythment leur histoire. L’auteur et l’éditeur signent un pacte, de la création à la diffusion, du texte au livre, de l’écriture à la lecture. En quoi peut-on parler de co-création ?
Un panorama de la figure de l’auteur et de l’éditeur à travers les siècles fut dressé par Jean-Yves Mollier (université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines). La figure de l’auteur émerge à la Renaissance, au moment où il développe des liens étroits avec celui qui transforme son texte en livre. Ce n’est qu’au XIXe siècle qu’apparaît réellement une fonction éditoriale distincte, assurée auparavant par des imprimeurs ou des libraires. L’éditeur devient alors un médiateur essentiel : il contribue à la naissance de l’auteur, à l’accomplissement de son œuvre et à la rencontre avec le public.
Emmanuel Pierrat (avocat spécialiste du droit d’auteur) souligne un paradoxe savoureux : si l’éditeur accepte de publier un manuscrit mais le vend peu, c’est un mauvais éditeur puisqu’il ne sait pas vendre cette œuvre de génie ; au contraire s’il le vend bien et en fait un best-seller, c’est forcément un voleur car l’auteur ne sera pas payé en proportion du succès et de l’argent que l’éditeur aura gagné.
Une co-création « pour le meilleur et pour le pire »
Les correspondances et biographies d’écrivains et d’éditeurs offrent de précieux témoignages de cette relation passionnée et parfois houleuse. Chaque histoire est ainsi jalonnée de rencontres, succès, faillites, suicides (Nerval), ou d’amitié (Jules Verne et Hetzel).
Même si les enjeux de la création diffèrent, Joëlle Gleize (université de Provence) évoque une co-création, où l’auteur écrit le texte et l’éditeur le transforme en livre. Certains éditeurs conseillent, interviennent sur le texte ou imposent un cahier des charges, alors que d’autres proposent une forme novatrice ou invitent à écrire (commande).
Ces relations se font, se défont et se poursuivent même outre-tombe. L’éditrice Claire Paulhan s’intéresse aux textes d’auteurs disparus et fait découvrir des fragments d’histoire. Face à cette énigme liée à la lecture d’un texte brut et à l’élaboration d’un livre où l’auteur est absent, elle assimile son travail à celui d’une archiviste. Si l’auteur ne détruit pas ses manuscrits ou ne laisse aucune instruction avant de mourir, c’est qu’il ne voit pas d’objection à être publié par la suite. En cas d’accident ou de mort soudaine de l’auteur (Camus), la question est plus difficile à résoudre.
Le contrat d’édition et le règlement de compte
Il est primordial, pour l’auteur comme pour l’éditeur, d’avoir un contrat signé qui s’apparente finalement à un contrat de travail. Juridiquement, le contrat d’édition est un engagement qui scelle leur relation. Il est aussi associé à la volonté de vouloir se délier à un moment donné (négociation, procès).
Cet acte essentiel mentionne le titre de l’œuvre, le nom de l’auteur, le nombre d’exemplaires publiés, la rémunération et les délais (concernant la remise du manuscrit, la publication et la durée du contrat, 70 ans après la mort de l’auteur). L’auteur renonce en général à déchiffrer les lignes de son contrat, excepté les clauses « rémunération » et « de préférence 2 ». Avant la publication, l’auteur reçoit un chèque d’acompte (2 000 à 3 000 euros), il perçoit ensuite les droits d’auteur entre 10 et 15 % du prix de vente du livre. Toutefois, les relevés de ventes sont assez opaques et le montant de l’à-valoir reste souvent subjectif.
L’auteur fait souvent confiance à son éditeur, même si ce n’est pas le cas de Céline ou Sagan, convaincus d’être exploités. Céline évoque ainsi Gallimard : « Tous les éditeurs sont des charognes… » alors que Sagan enrage contre son éditeur : « C’est incroyable, l’écrivain se tape tout le boulot, le livre, les interviews et, six mois après, on lui envoie 18 % du prix total. Tout le reste a disparu dans les sphères… »
Moins de 2 000 auteurs vivent de leur plume. Un best-seller ou un prix littéraire constituent une source de revenu non négligeable, en sus de la notoriété et de la reconnaissance. Lorsqu’un « livre est primé, c’est toute l’œuvre de l’auteur qui se met à scintiller » selon l’écrivain Sylvie Perez 3. L’auteur a alors plus de facilité à négocier son contrat et à faire jouer la concurrence. Les propos crus de Gallimard illustrent cette idée : « Un auteur […] c’est une femelle qu’il faut payer, tout en sachant qu’elle est toujours prête à s’offrir ailleurs. C’est une pute. » Pourtant, certains éditeurs privilégient les auteurs à succès et les achètent à prix d’or.
Malgré l’évolution des statuts d’auteur et d’éditeur au cours des siècles, le droit d’auteur est toujours régi par le socle d’une loi datant de 1791 (lois Le Chapelier et Lakanal).
« Auteur et éditeur à l’heure du numérique : la confusion des rôles ? »
Malgré le parcours intéressant des intervenants, la table ronde fut décevante et peu constructive : les principales réflexions liées aux nouvelles pratiques induites par internet ont été à peine abordées : que devient le couple auteur/éditeur dans cette nouvelle ère de production et diffusion de l’écrit ? L’autoédition remet-elle en question la fonction d’éditeur ? En quoi le numérique favorise-t-il la création de nouveaux objets textuels et multimédias ? •