Nouveaux espaces et nouveaux services

Learning Centers et Idea Stores

Nicolas Pineau

Ces mystérieux Learning Centers sont-ils pour les bibliothèques publiques et universitaires un nouveau paradigme à l’heure du numérique ou les bibliothèques ont-elles toujours été des « lieux d’apprentissage » et des « boîtes à idées » dont on se plaît désormais à souligner cette dimension par des termes anglo-saxons dans une optique de buzz ? Quels enseignements tirer des exemples étrangers pour construire ou réaménager une bibliothèque et moderniser ses services ? La journée d’étude organisée par Médiaquitaine le 26 mai dernier a constitué une « boîte à idées » stimulante pour des participants venus de la France entière.

Un nouveau modèle de bibliothèque ?

Le Learning Center n’est pas un modèle universellement déclinable mais plutôt un équipement « personnalisé » que chaque université doit construire à partir d’une analyse de l’existant et de ses objectifs. Véronique Cox, du cabinet CAP TIC, a présenté ainsi les grandes lignes de l’étude sur les Learning Centers commanditée par la Conférence des présidents d’université (CPU) et la Caisse des dépôts et consignations. Pour autant, les Learning Centers ont des caractéristiques communes : espace convivial animé par une organisation réactive aux pratiques des usagers, gamme de services élargis intégrant des prestations autrefois dispersées sur le campus. Un guichet unique est constitué au bénéfice de l’usager et les moyens financiers et humains sont optimisés. Enfin, ce nouveau modèle de bibliothèque accorde une place particulière à une pédagogie modernisée à l’aune des nouvelles pratiques et des nouveaux besoins (stages, insertion professionnelle).

Aux Pays-Bas

En visioconférence depuis Avans University aux Pays-Bas, Ellen Simons a proposé aux participants de découvrir le Learning Center d’Xplora dont elle est directrice adjointe. Xplora est conçu comme un centre social et académique destiné à faciliter la réussite des étudiants. La gamme de services proposés y est très large et pas exclusivement à destination des étudiants : les enseignants peuvent y trouver des outils de formation pour améliorer leur pédagogie, et le succès du Learning Center tient aussi à sa politique de communication. Pour conclure, Ellen Simons a distillé quelques conseils pour conduire un projet Learning Center. L’adaptation au contexte et aux besoins doit être le maître mot : ainsi Xplora ne se singularise pas par une large amplitude horaire car les étudiants d’Avans vivent pour la plupart au domicile familial. Les enquêtes de satisfaction permettent d’améliorer l’organisation. La dernière étude a notamment révélé le besoin d’espaces silencieux propices au travail. Le bibliothécaire orthodoxe se satisfera donc en constatant que les fondamentaux demeurent.

En France

À l’heure du numérique, les tutelles s’interrogent parfois sur le caractère stratégique des bibliothèques. Pour lever ces doutes, une étude a été conduite pour le projet de Learning Center de l’Institut national polytechnique (INP) de Toulouse, présenté par Sandrine Malotaux. Les résultats révèlent une forte utilisation de la documentation chez les étudiants et une mutation des pratiques des enseignants chercheurs (publication dans des archives ouvertes). Au regard de ces résultats, le projet de Learning Center proposé à l’équipe dirigeante était conçu comme une composante d’un projet de pédagogie rénovée. Dans le futur Learning Center de l’INP, les collections d’ouvrages imprimés seront étoffées (culture générale et insertion professionnelle) et les conditions de prêt élargies. La principale nouveauté sera la création d’ateliers d’innovation pédagogique destinés aux enseignants. Enfin, cette nouvelle bibliothèque sera un lieu ouvert sur l’extérieur avec un service de recherche documentaire à destination des entreprises locales.

En Catalogne

Le projet du Centre de ressources pour l’apprentissage et la recherche (CRAI) de l’Université polytechnique de Barcelone, présenté par Anna Rovira, directrice du service des bibliothèques et de la documentation, vise à regrouper des services dans la bibliothèque pour limiter les déplacements des étudiants sur le campus. Diversification des prestations offertes (prêt de portables et de « e-reader ») et innovation pédagogique sont des axes forts, et des équipements et des personnels spécifiques sont à la disposition des professeurs à la « Factoria ». Conçu comme un lieu de vie, le CRAI propose également une salle dédiée à la détente avec consoles de jeux vidéo. La mutation vers le Learning Center a été rendue possible par la création d’un silo de stockage des collections pour libérer des espaces. Le catalogage a également été externalisé pour permettre aux personnels de se consacrer à leurs nouvelles missions. L’importance d’une approche « partenariale » a été soulignée : les bibliothèques doivent fédérer les compétences et ne pas adopter une attitude impérialiste potentiellement mal perçue par les personnels extérieurs. Enfin, il convient de toujours s’adapter aux usages : certaines dérives ont par exemple conduit à redonner à la sécurité et au calme leur caractère prioritaire.

En Grande-Bretagne

Le modèle britannique d’Idea Store, né à la fin des années 1990 dans un quartier de Londres, présenté par Ophélie Ramonatxo, directrice de la médiathèque de l’Institut français du Royaume-Uni, est désormais bien connu. Seules les implantations stratégiques ont été conservées au sein du réseau (proximité des transports en commun et densité de population à desservir). Le bâtiment, conçu de manière uniforme pour l’ensemble du réseau (cube aux surfaces vitrées), est organisé selon un plan intérieur standardisé. En matière de services, l’amplitude horaire est très large (75 heures, 7 jours sur 7) avec une large gamme de prestations : cafétéria, salles de formation, espaces de détente, guichets de services publics cohabitent avec les collections. Ces dernières sont soumises à une évaluation permanente et les documents peu ou pas empruntés sont retirés. De nombreuses activités ont été externalisées et une séparation étanche a été instaurée entre front et back offices, les bibliothécaires étant en « service public » en permanence. S’il est controversé, compte tenu de sa quête permanente de rentabilité, il faut néanmoins reconnaître le succès de l’Idea Store. La fréquentation des bibliothèques a en effet augmenté et la logique de supermarché culturel a eu le mérite d’attirer des populations qui se seraient probablement censurées auparavant.

En Italie

C’est par un voyage en Italie que s’est achevé ce tour d’horizon. La bibliothèque publique Sala Borsa de Bologne, présentée par Maria Chiara Corazza, responsable du service d’information, s’organise autour d’une place couverte offrant une vue sur des fouilles archéologiques. Les services proposés sont très diversifiés et parfois inédits (salle d’allaitement). L’objectif est de conférer à la bibliothèque une dimension sociale et intégrative dans une ville où se côtoient de nombreuses nationalités (cours d’alphabétisation, ateliers créatifs, lutte contre la fracture numérique). Très attentive aux pratiques des usagers, l’équipe de la bibliothèque a su s’adjoindre les compétences d’éducateurs pour travailler à la socialisation de publics en difficultés et ainsi endiguer certaines dérives non anticipées.

Réactivité et adaptation sont donc des constantes dans ces nouveaux modèles de bibliothèques, parfois perçus à tort comme extrêmement dogmatiques et rigides. •