Rencontres nationales de la librairie
Thierry Ermakoff
François Rouyer-Gayette
Le mois de mai est le plus beau de l’année. Quand Dieu le père eut créé ce mois, il en rit d’aise dans sa grande barbe blanche. Le soleil était au plus haut, la végétation triomphait, la terre n’était plus qu’une boule verte, elle avait l’air d’un pâturage sphérique, les vaches y plongeaient jusqu’au cou. Le vent moirait les champs bleuâtres qui avaient des reflets d’argent violet, l’Auvergnat parlait par proverbes, soufrait sa vigne et battait sa faux, l’Auvergnate faisait du clafoutis, et parfois même, ils se déplaçaient jusqu’à Lyon, pour assister aux « Rencontres nationales de la librairie : Quelle librairie pour demain ? » les 15 et 16 mai 2011, organisées par le Syndicat de la librairie française (SLF) 1 avec le soutien du CNL, de la Région Rhône-Alpes, de la ville de Lyon et de la Sofia ; car l’Auvergnat était venu nombreux : une vingtaine ; par minibus ; c’est dire l’importance de la chose, qui avait d’ailleurs tout l’air d’un congrès mondial, tant l’assistance était nombreuse, et internationale.
Le SLF avait donc placé haut les ambitions : elles ont été tenues. Outre la présence du ministre de la Culture et de la Communication, du président du Centre national du livre, du directeur adjoint chargé du Livre et de la Lecture, ce qui prouve bien que la librairie est une cause nationale, on avait noté la présence de la représentante du président du conseil régional Rhône-Alpes, ce qui prouve que la librairie indépendante est aussi une cause régionale.
Les intervenants étaient nombreux, cosmopolites et divers : des libraires, des éditeurs, des diffuseurs et des distributeurs, des sociologues et même un libraire-sociologue, des techniciens de la technique et des gens réels du monde virtuel.
Le ministre de la Culture et de la Communication a rappelé l’importance de la librairie indépendante, dont il a souhaité « qu’elle soit replacée au centre des débats autour de la chaîne du livre » ; il a précisé que la loi du 10 août 1981, dite aussi loi Lang, est « une grande et bonne loi », mais insuffisante… Il a exhorté les libraires à s’organiser, à mutualiser, comme on dit désormais, leurs pratiques et leurs formations, à se moderniser ; il a appelé les distributeurs et les libraires à de véritables négociations pour une amélioration de la marge commerciale (même si le groupe Hachette a fait des propositions concrètes pendant ces rencontres), car malgré une aide de l’État de près de 4 millions d’euros, c’est bien de cela dont souffre (pour partie) la librairie. Ces propos ont été – par anticipation, c’était presque oulipien – repris la veille par le président du Centre national du livre 2, qui a rappelé son attachement et l’accompagnement indéfectible de son institution (elle-même, d’ailleurs, aussi indispensable que la librairie), soutien qui se manifeste par la mise en œuvre du label LIR 3, du VAL 4, l’accompagnement du portail de la librairie indépendante 1001libraires.com 5, les aides thématiques, prêts, subventions… continus et amplifiés depuis 2008.
Mais ces soutiens suffiront-ils ? Une étude 6, très détaillée, très documentée, et très convaincante du Xerfi 7, pour le compte du SLF et avec l’aide du ministère de la Culture et de la Communication, ne laisse pas d’inquiéter : outre le recul chronique des pratiques de lecture, la poussée de l’internet et la concurrence de la grande distribution, consécutive à un mode de consommation qui tend à éloigner les commerces des centres-villes, ne laissent aucune marge de manœuvre aux libraires, qui ont vu, sur la période 2009-2010, une chute de leurs résultats (excédent brut d’exploitation) de 2 à 3 %. La librairie indépendante, on s’en doutait bien un peu, est un des secteurs les moins rentables du commerce de détail, et l’érosion du tissu de la librairie s’accélère, même si les grandes librairies ou les librairies labellisées 8 sont des arbres qui ont tendance à cacher la forêt.
Les différentes interventions en table ronde ont permis de faire le point sur les solutions, collectives ou réglementaires, tentées chez nos voisins. Néanmoins, nous retiendrons, pour une sorte d’avenir possible, celle qui était animée par Christophe Evans (sociologue, BPI, Enssib), et complétée par Xavier Capodano (librairie Le genre urbain, Paris). Christophe Evans s’est appuyé sur une étude qualitative (De l’espace livre au lieu de vie) 9, réalisée avec le concours du service du Livre et de la Lecture. Il en ressort que la librairie est un instrument de dynamisation urbaine, de lien social, que la librairie structure le territoire, comme « oasis », « poumon », « ressourcement », et c’est une réalité qui perdure ; c’est un lieu chaleureux, non standardisé, ce qui le distingue de la bibliothèque, et d’ailleurs les relations bibliothèques-librairies sont tout sauf simples, elles sont… « délicates ».
De nombreuses pistes s’offrent à l’issue de ces rencontres, pour conjurer le mauvais sort ; d’abord, l’enquête ci-dessus mentionnée devrait pouvoir être élargie à un panel bien plus important : les interventions de la salle ont prouvé que la situation géographique, financière, les relations avec les collectivités… pouvaient, toutes choses égales par ailleurs, donner des résultats très différents, moins alarmants, d’une librairie à l’autre. Ensuite, la relation libraire-bibliothèque, malgré la loi de juin 2003 sur le droit de prêt et les rabais aux collectivités, si elle a considérablement amélioré le quotidien de la librairie, comme l’a rappelé le directeur adjoint chargé du Livre et de la Lecture au ministère de la Culture, ne l’a pas définitivement sortie de l’ornière, et a laissé des traces interprofessionnelles, pour jargonner un peu. La liaison saine et durable entre la librairie et la bibliothèque est la condition nécessaire pour la survie de nos professions 10.
Il faut aussi s’aventurer plus avant vers la reconquête des centres-villes ; la misère symbolique, évoquée par Bernard Stiegler, visible par exemple dans un grand centre commercial du sud lyonnais, un lundi 15 août 2011, où les grandes surfaces de chaussures côtoient le vêtement dégriffé, le mobilier et la littérature empaquetée, ne saurait, pour personne, être un programme de rêve. Peut-être faudrait-il – mais ce n’est pas notre spécialité – aller faire un tour du côté de « l’économie des singularités 11 », qu’évoquait François Rouet dans l’ouvrage, à qui nous empruntons volontiers cette référence.
Et l’irruption du numérique doit être pris à bras-le-corps. Nous rejoignons ici l’analyse de Christian Robin, dans un ouvrage à paraître à ce jour, Les livres dans l’univers numérique 12 : « Les éditeurs ont un intérêt considérable à soutenir les librairies en faisant passer la distribution des livres numériques par elle, même si cette solution ne paraît pas, a priori, optimale. »
Signalons enfin que l’ensemble des débats, textes de présentation, études, etc., sont accessibles sur le site « Les Rencontres nationales de la librairie : Lyon 2011 13 » où vous retrouverez la belle synthèse introductive de Christian Thorel (librairie Ombres blanches, Toulouse). •