« Mutations de la science et des universités en France depuis 1945 »
Le Mouvement social, n° 233, octobre-décembre 2010
Paris, La Découverte, 2010, 218 p., 24 cm
ISBN 978-2-7071-6659-3 : 20 €
Les auteurs apportent de premiers repères historiques sur ce « thème d’avenir de l’histoire sociale », encore peu étudié en France où le réseau d’études sur l’enseignement supérieur (Resup) ne s’est constitué qu’en 2001. Loin des simplifications et des idées reçues, ils montrent les effets actuels de transformations qui se déroulent sur la longue durée, au prix de cheminements entre des tendances souvent contradictoires qui mettent en tension le système.
Pour Dominique Pestre, la science est une activité sociale à dimension politique. Liée dans les années 1960 à l’industrie et à la défense, la recherche s’est confrontée ensuite à une société civile protectrice de l’environnement, puis a évolué vers des considérations plus gestionnaires sous l’effet du libéralisme, et doit maintenant justifier sa légitimité au regard d’objectifs de bonne gouvernance portés par des organisations internationales.
Antoine Prost et Jean-Richard Cytermann mettent à disposition des chercheurs les données de base sur l’enseignement supérieur (étudiants, personnels, diplômes, comparaisons internationales des dépenses d’enseignement et de R & D). Pour eux, la statistique historique n’est pas à l’abri de lacunes et d’erreurs, en raison de l’évolution des périmètres tant géographique qu’institutionnel.
Patrick Fridenson montre l’évolution des relations de l’État avec les acteurs internes (notamment les présidents organisés en conférence, les associations et syndicats) et externes (entreprises, élus locaux), dans un espace maintenant élargi à l’Europe et à l’international. Les lignes de démarcation entre droite et gauche au pouvoir ont évolué au cours du temps. Renforcement de l’autonomie, montée de l’évaluation, rapprochement des universités avec les écoles et les organismes de recherche, maillage territorial en partenariat avec les collectivités, professionnalisation, marquent cette évolution. Mais l’origine sociale reste déterminante dans la poursuite des études, et la participation des étudiants reste faible.
Jean-Yves Mérindol retrace l’histoire conflictuelle des universitaires et de leurs statuts depuis 1968, où la prééminence des mandarins a été remise en cause. Les statuts, le recrutement, les obligations de service des enseignants-chercheurs et leurs pouvoirs dans les conseils ont fait l’objet de nombreux textes réglementaires dont le plus récent en 2009 a été fortement contesté. La confrontation entre corps s’affaiblit toutefois. L’autonomie renforcée des universités limite celle des universitaires, dont l’activité est à la fois de plus en plus internationalisée et de plus en plus liée à leur établissement.
La dimension territoriale est un axe d’étude majeur. Myriam Baron aborde les transformations de la carte universitaire depuis les années 1960. On compte maintenant 150 villes universitaires, mais le niveau et la variété des formations comme le degré de professionnalisation varient fortement entre les grandes métropoles et les villes moyennes, et la concurrence entre pôles universitaires souvent proches renforce la spécialisation. Jérôme Aust évoque sur la même période l’ancrage territorial progressif des universités sur le site lyonnais. Élus et universitaires s’ignoraient avant qu’un changement de génération dans les années 1980 ne favorise une coopération stimulée par les ambitions européennes de la métropole lyonnaise et par la décentralisation. Ce mouvement ne s’est pas fait sans heurts entre les partenaires, qui ont fini par s’entendre sur leurs compétences respectives.
Parmi d’autres nouveautés, sont présentées deux disciplines que leur vocation professionnelle et la promotion par les pouvoirs publics rapprochent. Fabienne Pavis étudie l’émergence de la gestion comme discipline universitaire dans les années 1965-1975, dans le cadre d’une politique internationale portée par l’OCDE et l’Unesco pour moderniser l’économie. On relève des innovations qui se sont diffusées dans l’université : valorisation de la participation active des étudiants dans les associations, personnalisation du parcours, pédagogie active en petits groupes, études de cas. Bernard Hubert décrit la constitution en France de l’agronomie comme science de l’agriculture dans un dispositif productiviste piloté par l’État, qui a accompagné de profondes transformations des exploitations familiales dans le cadre européen. Prédominent maintenant les exigences d’aménagement de l’espace rural et de protection de l’environnement, ce qui a conduit les communautés scientifiques agronomiques à s’organiser en sociétés savantes au niveau européen et français.
Autre perspective, la bibliométrie devient un instrument de gestion qui bouscule certaines disciplines. Gabriel Galvez-Béhar rend compte d’un colloque à l’université de Louvain en 2009 sur les revues de sciences humaines et sociales face à l’évaluation, et défend une approche plus qualitative.
L’histoire sociale, c’est aussi le récit de ceux qui l’ont vécue. Un historien, Jacques Guilhaumou, livre ses mémoires d’étudiant nanterrien en mai 1968 dans le flux de manifestations où les spectateurs sont aussi protagonistes d’évènements amplifiés par le récit à chaud de la radio.
Enfin, des notes de lecture recensent plusieurs ouvrages marquants publiés ces dix dernières années.