Image des bibliothèques
Cécile Touitou
Le 17 mai 2011 se tenait une journée d’étude organisée par la Bpi et l’Enssib consacrée à l’« image des bibliothèques ». Cette manifestation constitue le premier numéro d’un rendez-vous annuel de restitution des résultats des études et des travaux conduits par ces deux établissements. Patrick Bazin a souligné en introduction l’importance particulière de l’image des bibliothèques à l’heure d’un changement paradigmatique du rapport au savoir qui ne s’impose plus comme allant de soi mais devient une affaire d’interactions entre « producteurs » et « consommateurs » de savoir. De ce renversement pourrait découler une nouvelle image des bibliothèques en tant qu’institution de transmission 1.
Une image mise à mal
Anne-Marie Bertrand a d’emblée consacré son intervention à « l’avenir et l’image des bibliothèques ». Elle a inscrit cette réflexion dans la lignée des travaux initiés lors du colloque organisé en 2009 à l’Enssib, intitulé « Horizon 2019 : bibliothèques en prospective 2 », qui posait la question de l’avenir du rôle politique, culturel et social des bibliothèques. Effectivement, dit-elle, « les bibliothèques sont utiles, mais qui le sait ». Cette utilité censée engendrer une légitimité politique n'est pas connue de tous ; pire encore, l'image des bibliothèques est restée très longtemps marquée chez les élus par le stéréotype des bibliothèques poussiéreuses, voire inutiles et certainement coûteuses, image à laquelle s'est substituée (dans certaines communes) une image de modernité qui bien souvent se limite à un slogan si bien caricaturé par Éric Rohmer dès 1992 !
Il y a donc aujourd’hui superposition de ces deux images contradictoires d’obsolescence d’un lieu tourné vers l’accueil des plus jeunes et des retraités (quand ils ne sont pas eux-mêmes bibliothécaires bénévoles), et de modernité d’un bâtiment qui incarne un projet politique, idéalement destiné à un public fantasmé, large et diversifié.
Or, comme le martèle Anne-Marie Bertrand, l’image a un impact direct sur la fréquentation et il est de la responsabilité des professionnels d’investir cette image pour qu’elle soit vectrice d’une possible, voire facile, appropriation de l’institution par les usagers. Cependant, des menaces pèsent sur cette institution que certains verraient bien remplacée par internet qui serait l’entrée unique et universelle à tous les savoirs. À ce propos, la directrice de l’Enssib nous signale, ironique, cette formation organisée par la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture qui s’intitulait « Faut-il encore construire des médiathèques ? 3 ».
Or, si internet peut éventuellement remplacer la bibliothèque en ce qu’il facilite l’accès aux informations utiles, la place de la bibliothèque demeure fondamentale car, comme le dit Robert Damien : « La démocratie et la bibliothèque sont philosophiquement et politiquement inséparables 4 » A.-M. Bertrand répète qu’il convient de changer cette image entachée par l’idée de l’inutilité du livre à l’ère du numérique. À oublier sa fonction première et fondatrice de son existence, la bibliothèque se met en danger. Or, selon l’intervenante, par crainte de paraître trop élitiste et dans une ambiance d’anti-intellectualisme diffus, les bibliothèques se seraient récemment pliées au diktat du « tout-culturel », leur offre lorgnant vers la culture de l’entertainment. Pour elle, il faudrait plutôt chercher un positionnement du côté « du stock », celui d’une offre riche, pérenne et organisée permettant d’apprendre et de comprendre le monde. Au stock, elle oppose le flux et le caractère éphémère des informations dont l’usager est constamment inondé.
Pour conclure cette intervention tonique, A.-M. Bertrand reprend la citation de Roger Chartier écrivant : « À l’écoute des besoins ou des désarrois des lecteurs, la bibliothèque est à même de jouer un rôle essentiel dans l’apprentissage des instruments et des techniques capables d’assurer aux moins experts des lecteurs la maîtrise des nouvelles formes de l’écrit… Le lecteur navigateur risque fort de se perdre dans des archipels textuels sans phare ni havre. La bibliothèque peut être l’un et l’autre 5. »
Rebondissant sur ces propos, Patrick Bazin dit qu’à l’époque de la théorie de la bibliothèque « troisième lieu 6 », la question du cœur de métier doit être posée. Pour lui également, les bibliothèques doivent affirmer leur fonction essentielle. L’objectif premier est « cognitif », c’est autour de cette mission que s’articule d’ailleurs le projet d’établissement sur lequel travaille la BPI actuellement.
Violence, couleurs, collégiens et lycéens, et première fois…
À la suite de ces propos qui posaient de nombreuses questions non seulement sur l’image mais également sur les missions des bibliothèques, d’autres résultats d’études ont été présentés.
Denis Merklen de l’EHESS a présenté ses travaux sur « Violence et bibliothèque », rappelant les conditions dans lesquelles des bibliothèques ont été vandalisées ou brûlées à Goussainville et Villiers-le-Bel lors des émeutes de 2005 au travers des résultats d’une enquête sur la relation conflictuelle que certains jeunes entretiennent avec la culture de l’écrit 7. Hélène Valotteau, élève conservateur à l’Enssib, a présenté les travaux qu’elle a entrepris sur « Couleurs en bibliothèque » dans le cadre de son mémoire 8.
Christophe Evans, chargé d’études en sociologie à la BPI et enseignant, a présenté les résultats d’une enquête menée l’année dernière sur l’image de la bibliothèque chez les collégiens et lycéens. Elle est choisie avant tout parce qu’elle « permet de couper avec l’agitation extérieure, le cadre familier, trop personnel ou trop exigu, l’hyper connectivité permise par l’informatique domestique, pour accéder à un temps et un espace (physique et mental) préservés, propices à la concentration, au sérieux et au travail dans la durée 9 ».
Enfin, la journée s’est achevée sur la malicieuse intervention de Philippe Galanopoulos (Bibliothèque interuniversitaire de pharmacie) qui présentait les résultats de son étude consacrée à l’analyse de contenu des 20 sites de groupes étudiants créés sur Facebook sur les sujets de l’image de la BPI, ses espaces, les modalités de leur appropriation 10.
La synthèse de la journée réalisée par Françoise Gaudet, chef du service « Études et recherche » de la BPI, a permis de rappeler qu’il était un temps où l’idée de la bibliothèque faisait consensus, pas forcément pour soi, mais pour les autres, les jeunes, les pauvres… Convaincre de son utilité passera donc par la réaffirmation d’une image forte, celle d’une bibliothèque lieu du « stock » et du recul, lieu du savoir et de l’étude, mais un stock dynamique mis au service de la fonction cognitive de la bibliothèque et co-construit avec des partenaires extérieurs.
Au final, les différents intervenants de la journée ont eu le grand mérite de parfaitement illustrer les menaces qui pèsent aujourd’hui sur l’avenir des bibliothèques. La description des représentations qu’ont les lycéens et les étudiants (de la BPI) de la bibliothèque, qui dans certains quartiers deviennent des objets symboliques de détestation, sont autant d’alertes. L’enjeu sera maintenant d’inventer une solution harmonieuse et pérenne au hiatus apparent qu’il y a entre les exigences d’une culture de l’immédiateté et les impératifs de la gestion de lieux de savoirs. •