Littérature de jeunesse : arrêts sur images
Nathalie Colleville
Avec 40 000 titres, l’album de littérature de jeunesse occupe une large place dans les fonds de la bibliothèque de Caen. Le 18 avril 2011, celle-ci organisait logiquement la première d’une série de journées d’étude consacrées à l’illustration dans la littérature de jeunesse.
« Illustrateur » est-il le bon terme pour nommer l’auteur des images d’un album à destination de la jeunesse ? Car l’image y tient une place entière et contribue pleinement à l’élaboration du sens et de l’histoire. C’est d’ailleurs là ce qui distingue l’album du livre illustré.
C’est sur cette interrogation que Liliane Cheilan, formatrice à l’Institut international Charles Perrault 1, corédactrice en chef de la revue Hors Cadre(s) 2, a ouvert cette journée d’étude intitulée « Parcours dans l’illustration, parcours d’illustrateurs ». « Savoir lire un album, c’est saisir le lien qui unit texte et image », notait Liliane Cheilan. Un précepte qui a guidé la programmation de cette journée qui réunissait illustrateurs, bibliothécaires et éditeurs. Si l’album de littérature de jeunesse présente les mêmes caractéristiques que la bande dessinée, le livre illustré ou encore le livre d’artiste, il laisse à l’image un tout autre rôle. Le livre illustré se définit « par le primat du texte et le caractère raréfié, morcelé de l’image ». Autonome, le texte préexiste à l’image et peut donc cohabiter avec différents types d’illustrations sans en souffrir : des « classiques » comme les Contes de Perrault ou les Fables de La Fontaine sont ainsi régulièrement réédités avec de nouvelles images. Dans ce cas, le terme « illustrateur » convient bien si l’on se réfère à son étymologie : « lustrare » qui signifie « donner de l’éclat ». « Si l’illustrateur est la personne qui signe les images d’un livre, alors c’est le terme qui convient le mieux. Il n’est pas auteur. Son nom apparaît souvent en second sur la couverture d’ailleurs », remarquait Liliane Cheilan. Mais il en est tout autrement dans l’album de jeunesse. Les avancées des techniques d’impression et de reproduction entre le XVIIIe siècle et aujourd’hui ont laissé la part belle à l’image. « S’il existe des albums sans texte, il n’existe pas d’album sans image. »
Les débuts de l’illustration contemporaine
Macao et Cosmage d’Édy-Legrand 3 marquera les débuts de l’illustration contemporaine. « Présente sur la page de garde, la quatrième de couverture, l’image fait corps avec le texte. Elle ne peut être remplacée par une autre image que celle d’Édy-Legrand. L’album devient un lieu de jeu et est alors exploité par les illustrateurs et les auteurs qui jouent avec les supports, le format, les matières, l’organisation des pages. » Un précepte repris par exemple dans la collection « Histoire sans paroles », lancée en 2004 par Autrement Jeunesse 4. « L’idée est de faire découvrir aux enfants non lecteurs le plaisir de lire avant d’entrer dans les mots. L’esprit et l’imagination travaillent. Le livre devient alors un outil pédagogique privilégié, l’occasion d’un moment de partage entre l’enfant et le parent ou l’instituteur », précisait plus tard Émilie Nief, responsable éditoriale chez Autrement Jeunesse. « La structure est travaillée pour une narration fluide et les péripéties sont suffisamment claires pour attirer l’attention du jeune lecteur. Celui-ci apprend à intégrer son rôle d’observateur. » L’image est donc capable d’assurer une narration sans le recours du texte. « Si l’on regarde Le voleur de poules de Béatrice Rodriguez chez Autrement Jeunesse, on voit que tout se passe dans le non-dit. L’organisation des pages suffit à dire la progression spatiale et temporelle. Mettre des mots par-dessus aurait été redondant et réducteur », affirme Liliane Cheilan. Les techniques employées, le format, le papier, concourent à l’élaboration du sens. Le format à l’italienne des livres de la collection « Histoire sans paroles » appuiera ainsi le thème du voyage ou l’évolution d’un paysage. « Fusain, encre, gouache, aquarelle, collage, tissu, gravure, papiers déchirés… Les techniques sont multiples et définissent le style mais elles sont aussi choisies en fonction de l’effet à produire », précisait Liliane Cheilan. Les procédés choisis différeront selon le registre choisi : humour, tendresse… Invitée à présenter le travail de l’auteure et illustratrice Hélène Riff, Véronique Soulé (bibliothécaire, responsable de Livres au trésor jusqu’en 2010) expliquait que cette dernière aime jusqu’à choisir le papier de ses ouvrages si elle le peut : « Tout doit faire signe. Hélène Riff ne travaille pas pour faire beau mais pour exprimer quelque chose. Elle chamboule aussi la notion de lisibilité en écrivant partout et dans tous les sens ! Les albums de cette auteure exigeante suscitent un vrai travail de médiation. »
Cette journée d’étude s’est terminée par un entretien avec Céline Azorin et Maryvonne Le Quellec. Toutes les deux installées à Caen, elles ont signé plusieurs ouvrages à destination de la jeunesse et travaillent notamment avec des matériaux récupérés. Si Maryvonne Le Quellec a choisi le collage (Le tour du monde en 26 lettres, Un nid sur la fenêtre… aux éditions du Jasmin), Céline Azorin travaille le dessin, le textile et les papiers coupés (Isidore dans les airs chez Actes Sud, Juste de l’autre côté chez Fais-moi signe !). Là aussi, le choix des matériaux fait sens. Et s’ils disent quelque chose de l’intimité de l’illustrateur (à défaut d’un autre mot pour le moment !), papiers, crayons et tissus invitent le lecteur à entrer dans sa propre intimité. Et c’est bien là que l’album prend tout son sens. •