Le livre électronique
Marie-Pierre Oulié
Sabine Partouche
Bérengère Clément
Christiane Escalier
Le 31 mars 2011 s’est tenue à Marseille la première rencontre organisée par le réseau Mistral-Doc 1. Des professionnels de l’information scientifique et technique de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur se sont réunis et ont inauguré ce cycle de quatre ateliers par une réflexion autour des nouveaux enjeux de l’édition électronique en direction des bibliothèques et des modèles économiques actuels dans le domaine du livre électronique.
Le livre électronique : où en est-on ?
Le lecteur est le grand absent des débats autour de la révolution numérique, ou plus précisément des révolutions du numérique, constate Pierre Mounier, directeur adjoint du Centre pour l’édition électronique ouverte (Cléo) 2. C’est la distribution qui est au cœur des révolutions. « Qui maîtrise la distribution, maîtrise le marché » poursuit Pierre Mounier. Qu’il s’agisse de plates-formes d’éditeurs 3, de plates-formes indépendantes 4 ou de plates-formes intégrées 5, le coût élevé de leur maintenance et la complexe question de leur interopérabilité sont un frein à leur envol. Les éditeurs, déjà frileux, craignent la perte de parts de marché. Pour les bibliothèques numériques, le modèle américain d’Open Library 6 semble ouvrir la voie (en France, Gallica 7 pour la BnF).
Ces révolutions modifient considérablement l’articulation des acteurs de la chaîne du livre et de nouveaux points de dissension apparaissent entre les éditeurs et les auteurs, les éditeurs et les distributeurs, les éditeurs et les bibliothèques, et enfin les éditeurs et les libraires.
Alors, dans ce paysage en constante révolution, Pierre Mounier revient vers une question de définition : qu’est-ce qu’un livre ? Lisible, accessible, citable et manipulable, le livre se transforme et le numérique ouvre « le champ de tous les possibles ». Il prend de nouvelles formes et devient le livre de la bibliodiversité 8, le livre enrichi 9, le livre scénarisé 10, le livre socialisé 11 ou l’auto-livre 12.
Quels nouveaux services pour les usagers des centres de documentation ?
Lecture en ligne, lecture hors ligne, prêt de fichiers, offres mono-éditeur, bouquets multiéditeurs, plates-formes multidistributeurs… Xavier Cazin, fondateur d’Immateriel.fr, l’une des principales plates-formes de distribution de livres numériques en France, a dressé un panorama exhaustif de l’offre éditoriale numérique.
Contrairement au livre homothétique 13, le numérique dissocie le contenu (le texte) du contenant (le support de lecture). Par conséquent, les services offerts autour du texte sont les principaux vecteurs de valeur ajoutée marchande sur lesquels les éditeurs et les libraires doivent se positionner.
Comment proposer ces nouveaux services aux usagers des centres de documentation ? Les bibliothèques sont aujourd’hui confrontées aux limites technologiques de l’offre électronique : chronodégradabilité des fichiers permettant, certes, une lecture hors ligne et une gestion à l’exemplaire, mais limitant le nombre d’utilisateurs ; faible quantité de documents électroniques réduisant la masse critique des fonds ; mauvaise reconnaissance de l’usager dont la traçabilité par l’adresse IP reste encore peu identifiable ; marque-pages non conservés ; outils de partage de lecture inexistants…
Grâce à sa navigation par facettes avec un filtrage assuré par un moteur de recherche, ses possibles lectures en réseaux, ses éditions critiques, le modèle électronique ouvre de nouveaux horizons de lecture et de recherche. La « puissance du clic » (en référence au « reporting spam ») comme tentative d’automatiser l’intelligence humaine sera-t-elle concurrente des niveaux de lecture qualitatifs proposés par les documentalistes, niveaux que les robots ne sont fort heureusement pas encore en mesure de produire ?
Retour sur une expérience électronique : OpenEdition
Inès Secondat de Montesquieu, responsable du pôle édition du Cléo, présente le portail OpenEdition et ses trois plates-formes : Revues.org, Hypotheses.org, Calenda 14. Elle rappelle que Revues.org, portail de ressources électroniques en sciences humaines et sociales, héberge aujourd’hui 250 revues et collections de livres avec des politiques d’accès variables, choisies par les revues et les maisons d’édition : open access, barrière mobile avec ou sans abonnés, barrière mobile avec accès commercial via Cairn.
Quels objets éditoriaux sont ainsi proposés ? Aujourd’hui, le Cléo déploie une plate-forme de monographies. Le logiciel d’édition électronique Lodel 15 s’adapte parfaitement à la structure du livre. Comme pour les revues, l’identité des ouvrages est conservée grâce à une personnalisation graphique. Ils bénéficient aussi de l’effet portail, du référencement, d’une indexation par moteur de recherche, d’une interopérabilité et d’un enrichissement multimédia possible. En terme de diffusion, le partenariat et l’interopérabilité avec Immateriel.fr permettent aux ouvrages d’être visibles dans les réseaux de distribution et dans les librairies électroniques 16. En parallèle, un projet d’offre d’impression à la demande est à l’étude.
Depuis janvier 2011, Revues.org propose aux bibliothèques et aux institutions OpenEdition freemium 17. Les revues et les livres sont diffusés sur internet en libre accès pour tous au format HTML 18, lisible avec tous les navigateurs web. Des formats enrichis (PDF 19 et ePub 20) sont accessibles en exclusivité aux usagers des bibliothèques abonnées. Ces formats sont conservables sur le disque dur des lecteurs et lisibles sur écran.
Pour un réel retour d’expérience, Inès Secondat de Montesquieu précise qu’il est important d’inscrire la diffusion dans la durée, de constituer une masse critique pour alimenter ce modèle économique, de privilégier le libre accès pour augmenter la visibilité, de définir une période de lancement en open access.
Anticiper la bibliothèque de demain
Collecter, sélectionner, valoriser et orienter… Les documentalistes sont les boussoles des usagers, comme le souligne Jean-Christophe Peyssard, responsable des partenariats du Cléo.
Rester à la marge de l’offre électronique, attendre une amélioration technologique ou anticiper les métamorphoses du paysage éditorial sont les choix que les centres de documentation seront amenés à opérer très prochainement, même si la mise en place de ces dispositifs nécessite un effort d’adaptation certain en moyens humains et informatiques.
La bibliothèque virtuelle remplacera-t-elle celle que nous connaissons aujourd’hui ? Lieu de sociabilité, idéal pour servir d’intermédiaire entre les modes de communication imprimés et numériques 21, comment la bibliothèque du futur assumera-t-elle ses rôles ? •