Propulser les bibliothèques sur le web et animer des communautés

Les nouveaux défis du métier

Marie-Christine Jacquinet

Bruno Fouillet

Le pôle de compétences « Culture, bibliothèques et patrimoines » du Centre national de la fonction publique territoriale a organisé au Salon du livre de Paris, le 18 mars dernier, un débat sur les impacts du numérique sur les métiers et compétences en bibliothèques.

Nombreux étaient les auditeurs d’une scène numérique ce soir-là très masculine. Bloggeurs de notoriété établie, les participants ont le talent d’explorer de nouveaux territoires, territoires numériques bien sûr. Pour donner une idée de l’impact du numérique sur les bibliothèques, chacun a complété le discours de l’autre, déroulant de concert un état des lieux clair, sans polémique ni pessimisme : la bibliothèque, c’est sûr, a sa place dans le contexte du numérique. Mieux même, elle semble avoir les prérequis nécessaires à la mise en œuvre de son évolution : elle possède les contenus, richesses inespérées pour internet (on le voit d’ailleurs quand Google démarche les bibliothèques à l’affût d’accords pour numériser leur patrimoine) ; mais elle possède aussi (et il est bon de l’entendre !) les compétences nécessaires, certes mal ou peu exploitées.

Que faire ?

Si les bibliothèques souhaitent tirer profit du numérique, les intervenants ont souligné trois marqueurs, qui peuvent profitablement devenir les mots-clés des actions à venir.

  • Interaction. Le numérique réaffirme le rôle de médiation de la bibliothèque. Le concept de « médiation numérique » développé par Silvère Mercier  1 est le prolongement logique de la politique documentaire : aujourd’hui, il faut faire se rencontrer les gens et les contenus. Il faut donc que les bibliothèques proposent des contenus ou des dispositifs pour que les personnes « interagissent ».
  • Référencement. Pour interagir, être référencé est indispensable. Une recherche sur internet ne laisse pas de chance aux services publics pour apparaître dans les quatre premiers résultats. Lieu de contenus par excellence, la bibliothèque doit, pour Lionel Dujol  2, être attentive aux outils de référencement, et assurer sa présence sur des lieux ciblés du réseau.
  • Opportunité. Mais on ne se contentera pas de référencer à l’aveugle. Il faut investir les espaces du web, là où les usagers ont leurs habitudes ; et ensuite choisir le moment opportun pour éditer et observer les conversations qui naissent autour de ces contenus éditorialisés. Lionel Maurel  3 donne l’exemple d’images de carnaval, issues des collections patrimoniales de la BnF et déposées sur la Toile : les publics se déguisent virtuellement, discutent et échangent à propos de ces images. Quelle meilleure façon d’inventer un nouveau rapport aux collections patrimoniales ?

Résumons : il faut changer les habitudes de travail des bibliothécaires. C’est bien le bibliothécaire et ses compétences qui sont à l’œuvre dans ces grands changements. Mais comment faire ? Quelles nouvelles compétences développer ? Quelques pistes ont été présentées à destination des professionnels mais aussi des organismes et agences de formation.

Si vous n’en étiez pas encore convaincus, Didier Desmottes  4 a rappelé deux disparitions en cours : la « fin » du catalogage, d’une part, la « fin » des opérations de prêt/retour, d’autre part. Le bibliothécaire doit mettre en valeur ses compétences de conseil, orientation et accueil en général, compétences qu’il détient déjà. Lionel Maurel remarque lui aussi que des « profils numériques » existent déjà dans les équipes, mais de manière informelle, du moins hors du cadre hiérarchique. Ainsi, on voit des bibliothécaires développer des compétences sur leur temps personnel et les réutiliser sur leur temps de travail, modèle du « bibliothécaire qui twitte ». Ces personnels sont donc tout à fait capables d’animer des communautés sur internet, à condition que le projet de la bibliothèque inscrive comme objectif de transformer ses activités et de toucher ces nouveaux publics, non traditionnels. La situation idéale est bien sûr de dédier un poste à temps plein à la médiation numérique. Directeurs de bibliothèques : repérez les perles numériques parmi les personnels et renouvelez ensemble les priorités du service !

Comment faire ?

Il faut donc agir, réviser intentions et priorités des bibliothèques. Objectif : investir d’urgence le territoire du web ! Cependant, « animer toute communauté » nécessite une stratégie. Silvère Mercier déconseille de « rentrer sur le web comme un passager clandestin » : la bibliothèque doit s’interroger sur son identité numérique (forme) et doit être capable de capter l’attention des internautes, et de produire (contenus) de manière choisie et adaptée à son environnement. Lionel Dujol explique que la valeur ajoutée réside dans le bibliothécaire et ses choix. C’est lui qui doit cibler des communautés d’usagers localement et investir un territoire numérique de proximité. Inutile de prospecter des communautés situées à des milliers de kilomètres, le mieux est de repérer les communautés d’intérêt proches et de suivre leur évolution rapide.

Allant crescendo, tous ont repoussé les limites conventionnelles données aux activités des bibliothécaires sur le web. La bibliothèque veut être présente sur un réseau social ? Acceptons d’explorer toutes les conditions de fonctionnement de la plateforme. La bibliothèque veut animer une communauté ? Ne nous contentons pas de répondre à des questions, soyons actifs et posons des questions à notre tour.

Oui mais, concrètement, comment s’y prendre pour développer une stratégie adaptée ? Ces quatre pionniers ont imaginé, élaboré et déployé un programme de formation sur mesure. Nom de code : Biblioquest. Organisateur : l’Inset de Nancy  5. Trois modules interactifs dédiés à la prise en main de nouvelles manières de travailler et de concevoir le métier. Un dispositif indispensable pour passer du discours au terrain. •