Le livre numérique expliqué aux seniors [et] Initiatives franciliennes pour favoriser l’accès au livre des seniors

Yves Desrichard

Le Salon du livre offre l’opportunité de rencontres improbables que n’aurait pas désavouées le comte de Lautréamont. Ainsi de l’« entrechoc », le 21 mars dernier, entre une présentation, « pour les seniors » (effectivement) d’une liseuse, tablette, etc., et celle de divers projets intergénérationnels menés, pour certains, en partenariat avec les bibliothèques, afin de valoriser, par le biais du livre et de la lecture, « le lien » – ce qu’en d’autres temps, avec d’autres mœurs, on appelait les relations familiales et sociales.

La tablette présentée, à la manière curieuse et finalement sympathique d’un bateleur, rappelait furieusement, il faut bien l’avouer, le Minitel ou, puisqu’il est question de seniors, le splendide Télécran de notre enfance. Elle sera en couleurs « en début d’année prochaine » et « mettre des livres dedans, c’est assez simple » (150, nous fut-il indiqué). Certes, la critique est aisée, mais l’art semble difficile : si le produit a « toutes les fonctionnalités du livre », et notamment le marque-page intégré, l’utiliser suppose, comme le nota une participante, un travail de l’œil très spécifique, qui engendre presque une « révolution spatiale ». Le souci (désespéré ?) d’accrocher l’objet à l’univers du livre papier, dans un Salon où il semblait plutôt bien vivant, amène l’objet à être utilisable dans beaucoup de librairies, via des bornes de téléchargement tactiles. L’idée laissa plutôt perplexe, qui prive l’outil d’un de ses principaux avantages (décharger de chez soi, à n’importe quel moment), tout comme cette antienne qui voulait que le livre électronique soit là « pour épauler l’édition papier ».

Autour du « lien »

À cet aimable batelage, les différents projets, rapidement présentés (dans d’autres lieux, on appelle ça un « poster ») autour du « lien » apportaient un contrepoint, il faut l’avouer, rafraîchissant, stimulant, rassurant. C’était notamment le cas de la désormais bien connue initiative de Pascal Jardin, « Lire et faire lire  1 », qui réunit 12 000 bénévoles (dont 80 % de femmes) qui se chargent de faire découvrir chaque année à quelque 250 000 enfants le plaisir de la lecture. Ici, se sont souvent les seniors qui sont les passeurs. Écoles, centres de loisirs, bibliothèques bien sûr, sont autant de terres labourées pour « donner aux enfants un vocabulaire nécessaire à leur réussite scolaire ». À cet utilitarisme de la lecture, on avait la tentation d’opposer un réflexe pennacien. Mais la réussite est là, et les ambitions grandes de l’amplifier encore dans les prochaines années.

Le « Port d’âge » mené par les bibliothèques de la Ville de Paris est plus modeste, mais tout aussi précieux, qui fut évoqué notamment par le biais d’un petit film, duquel on retire une image frappante : celle d’un vieux monsieur (ce n’est en rien péjoratif), expliquant, devant une bibliothèque dans laquelle s’alignent des rangées entières d’ouvrages de la collection de la Pléiade, combien il appréciait désormais qu’un jeune garçon vienne lui faire la lecture, à domicile, puisque c’est l’objectif de « Port d’âge ». Les jeunes, volontaires entre 18 et 25 ans, sont issus du service civil/civique, et vingt bibliothèques de la Ville participent au projet, composant une « sérénade à trois » : les bibliothécaires, les volontaires, les bénéficiaires, seniors ou personnes en situation de handicap. L’une des volontaires souligna que, souvent, c’est plus leur présence que le livre, et ce qu’ils lisent, qui intéresse les bénéficiaires et (sans moquerie) on pourrait de fait imaginer que, dans un tel contexte, les liseuses pourraient être utiles, offrant un choix plus large, sur place, et sans réservation nécessaire. Une autre, pour laquelle les bibliothèques étaient visiblement une vocation, s’en vint à souhaiter qu’on « augmente la taille des bibliothèques pour qu’on puisse… vivre dedans ».

Deux autres réalisations présentées (Librest  2 d’une part, celles de l’Arefo  3 et de l’Arpad  4, résidences pour personnes âgées, d’autre part) avaient elles aussi pour ambition d’amener le livre aux populations vieillissantes, dont on sait l’importance quantitative, mais dont on sait aussi la détresse, puisque, comme le rappela l’un des participants, certains retraités en sont « à un euro près ». Certes, les bibliothèques sont déjà très présentes auprès des personnes âgées, mais on se disait, à écouter chacun et chacune, et notamment les admirables et modestes jeunes filles du « Port d’âge » qu’on pourrait faire plus, beaucoup plus. •