La bibliothèque saura-t-elle accueillir les nouvelles générations ?
Christelle Petit
Au dernier Salon du livre de Paris, la rencontre du 21 mars animée par Jean-Claude Utard, responsable du Service des publics et du réseau des bibliothèques de la Ville de Paris, a été l’occasion de proposer une réflexion sur les changements nécessaires afin de rendre les bibliothèques plus attractives pour les nouvelles générations.
Les bibliothèques doivent relever plusieurs défis, parmi lesquels l’hétérogénéité des pratiques culturelles et les usages complexes que cela implique, la concurrence d’internet en matière de communication et de lecture, et la demande nouvelle de la part des concitoyens d’une certaine démocratie participative, jusqu’au sein même des bibliothèques.
Un environnement en mutation
Pierre Mounier, directeur adjoint du Centre pour l’édition électronique ouverte du Centre national de la recherche scientifique (Cléo) 1, relève que la notion de nouvelles générations, parfois appelées « digital natives » et assimilées à une certaine espèce de Martiens, ne désigne pas une réalité aussi étrange qu’on voudrait le faire croire. Certes, sur le plan communicationnel, quelque chose de nouveau et de particulier se développe. Mais les pratiques informationnelles, quant à elles, ne sont pas si différentes de celles qu’ont connues les anciennes générations. Ce qui change, c’est plutôt un environnement dans sa globalité, lequel conduit les différents acteurs – dont les bibliothèques – à se repositionner. Des bibliothèques, nous attendons communément qu’elles donnent accès à l’information, qu’elles aident à se repérer dans cet univers informationnel et qu’elles en offrent une lecture spécialisée, avec un accès universel.
Le développement actuel pose deux questions à propos de ces attentes.
Tout d’abord, en matière de repérage de l’information, un concurrent puissant (les industries Google, pour faire court) menace de supplanter les bibliothèques, même universitaires : comment se positionner, alors que les bibliothèques elles-mêmes travaillent avec des services intermédiaires (gestionnaires d’abonnements) auxquels elles ont délégué leur rôle de médiation ?
Puis, concernant l’accès de tous à l’information, des tensions nouvelles apparaissent avec le développement du livre numérique. Des éditeurs, comme Harper Collins, tentent de reconstruire la rareté et l’usure en imposant l’idée du prêt unique de l’ebook et sa destruction au terme de 26 prêts.
Enfin, l’articulation entre espace physique et cyberespace induit une nécessaire réflexion : comment partager des savoirs localement ? Comment partager des savoirs auxquels on accède par voie numérique ? Faut-il envisager l’enrichissement des contenus par les usagers eux-mêmes ? La question est ouverte.
Ouverture des espaces et des collections
Anne Verneuil, directrice de la médiathèque d’Anzin 2 (Nord – Pas-de-Calais) lauréate du prix Livres Hebdo pour son aménagement intérieur, rappelle la nécessité d’un travail sur les collections afin de présenter une offre pluraliste, ouverte à d’autres champs que la culture, et de penser l’espace de présentation de ces collections. À Anzin, une étude sur les usages a permis d’adapter au public le plan de classement des collections : des espaces très ouverts mêlent documents adulte et documents jeunesse ; de même, le mobilier permet de soutenir efficacement zones de silence et espaces plus animés. Un certain nombre de services innovants ont été mis en place, depuis le prêt de lunettes et de paniers jusqu’à l’ouverture aux réseaux sociaux – ce qui nécessite une communication soignée pour les faire connaître. Enfin, l’équipement en radio-identification (RFID) permet une plus grande disponibilité du personnel pour l’accueil, lequel a été formalisé dans une « Charte du personnel ».
Implantation des bibliothèques dans le tissu urbain
Quant au réseau de la Ville de Paris, trois nouveaux équipements programmés alimentent le débat. Francis Verger, chargé de la mission « Nouveaux équipements » au Bureau du livre et de la lecture de la Ville de Paris, a insisté tout particulièrement sur la nécessité de s’appuyer sur le contexte environnemental des équipements : autres équipements installés, habitudes de fréquentation et de passage – afin que la bibliothèque soit adaptée à ses publics.
Dans le 18e arrondissement, au sein d’un quartier équipé d’un collège, d’une auberge de jeunesse, d’un institut universitaire de technologie, d’un centre sportif et d’un hôtel d’entreprises, la bibliothèque de la Halle Pajol (1 000 m² environ) proposera assez naturellement le jeu vidéo comme pratique communautaire des jeunes et disposera d’une salle dédiée à la pratique des jeux en réseau.
Au centre de Paris, La Canopée, vaste projet de réhabilitation des Halles 3, recherche « une certaine synergie autour de la culture urbaine » : située face à un centre de culture hip-hop, la bibliothèque de 1 000 m² développera un espace communautaire, adaptera ses collections en direction de la « génération Y », née à l’ère d’internet, et recentrera ses services autour de la notion d’animation de communauté afin de se positionner en tant que prolongation du centre de culture hip-hop et non en concurrente.
Enfin, sur l’île Saint-Louis, un projet prend en compte l’étroitesse du lieu disponible (250 m²), « trop petit pour une bibliothèque traditionnelle », afin de le centrer sur les passions des habitants du quartier, sans oublier une population touristique nombreuse : un travail de concertation en leur direction devrait être mené, sur le modèle de la démocratie participative.
Ces trois exemples parisiens rappellent l’impossibilité d’un modèle unique et la nécessité de penser chaque projet de bibliothèque en fonction de son implantation au sein d’une population de quartier et/ou de passage et non d’usagers abstraits. •