La loi et l'ordre

Yves Desrichard

? Tout, ou presque, est dans le ? : « Le droit contre les bibliothèques ? » Non pas : « Le droit contre les bibliothèques », plus neutre, ou « Le droit contre les bibliothèques ! » façon Hugo, plus revendicatif, plus véhément. Le souci d’interroger les missions et les activités des bibliothèques au regard du droit, carcan ou libération, mais, il faut bien l’avouer, avec ce qu’il faut de suspicion, de rancœur, de peur (de désirs ?) pour qu’il ait été hors de question, d’emblée, de poser : « Le droit et les bibliothèques ».

Établissements accueillant du public, acquérant des collections, les bibliothèques ont, en gros, pour vocation de réunir les uns et les autres. Et plus si affinités. Poser cette simplicité, c’est s’embarrasser d’emblée, sans s’en rendre vraiment compte, d’un échafaudage vertigineux de règles, de lois, de normes, parfois de coutumes (en cherchant bien) qui vont s’appliquer à la bibliothèque. « Comme à n’importe qui ? » Oui. Certes. Sauf que nous ne sommes pas n’importe qui, et que nous ne proposons pas n’importe quoi – mais, c’est vrai, à n’importe qui, ou plutôt à tout le monde, qui serait tenté d’en user, parfois, n’importe comment.

Le droit est partout, c’est bien connu. Mais, dans les autres professions, dans les autres domaines de l’activité humaine, est-ce qu’on s’intéresse autant au droit que dans les bibliothèques ? On a parfois l’impression que, comme dans un film américain (c’est un genre, là-bas), le bibliothécaire est un prisonnier, qui s’efforce depuis sa prison de passer un master en droit pour, en sortant, devenir avocat, un brillant avocat. Sauf qu’on ne sort jamais, et que, le plus souvent, ces connaissances accumulées peuvent déprimer celui ou celle qui s’essaie à l’exercice. Au point de devenir…

Paranoïaque, en considérant que les règles, et ceux et celles qui ont charge de les faire appliquer – appareil judiciaire, sociétés de perception, organismes divers, mais aussi législateur – ont avant tout pour ambition de tout empêcher en bibliothèque, de brider élans et innovations, d’anéantir en leurs prémices nouveaux services et nouvelles exploitations (des collections).

Schizophrène, en constatant que, à l’application rigoureuse de la Loi (« The law », comme disent les Anglo-Saxons qui, eux, y croient vraiment) à laquelle s’astreint, jusqu’à l’humilité – jusqu’à l’humiliation ? – le bibliothécaire, répondent les commerces illicites et les pratiques illégales qui s’épandent sur le net et attirent nos usagers. « Pas vu, pas pris », est-ce que ça existe dans d’autres langues ?

Traitement en trois parties, après une interrogation initiale qui, lecteur, doit demeurer à l’issue de la lecture (complète) du numéro : acquérir, est-ce encore réalisable ? Diffuser, est-ce encore possible ? Et puis, pour les prisonniers évoqués plus haut, quelques leçons de choses pour, enfin, les bonnes armes à la main, affronter la question : le droit contre les bibliothèques ?

* Ce numéro n’aurait pas vu le jour sans l’amicale tutelle d’Yves Alix et Lionel Maurel.Qu’ils soient ici prodigieusement remerciés.