Conservateurs de musées et politiques culturelles. L’impulsion territoriale
Frédéric Poulard
Coll. Musées-Mondes
ISBN 978-2-11-007805-6 : 21 €
Comment les conservateurs de musées, en tant que groupe professionnel, ont-ils exercé une influence sur la définition des politiques culturelles, entre autorité de l’État et priorités des collectivités locales ? Frédéric Poulard, maître de conférences en sociologie, identifie les jeux d’acteurs et esquisse le profil du conservateur aujourd’hui.
L’ouvrage s’inscrit dans une histoire des politiques publiques, en particulier le passage « de la tutelle au partenariat ». Mais, en faisant l’hypothèse que les conservateurs des musées territoriaux ont contribué à façonner cette transition, l’auteur examine aussi les conditions d’émergence du métier.
La place des musées au sein des politiques publiques, locales et nationales
Si les deux premiers chapitres resituent la valorisation des musées dans les grandes phases de la politique culturelle et de la décentralisation au XXe siècle, c’est pour signaler que l’évolution a été lente, discontinue et variable selon les territoires, et souvent le fait de personnalités marquantes. Le renforcement de la tutelle de l’État à partir du Front populaire et jusqu’aux trente glorieuses s’est essentiellement traduit par les prérogatives de l’Inspection des musées, par la diffusion de normes touchant la gestion et la présentation des collections et par la mise à disposition – très progressive – de conservateurs, même si beaucoup d’établissements échappaient au contrôle de la Direction des musées de France (DMF). Depuis les années 1970, les rénovations d’établissements se sont accompagnées de nouveaux modèles muséaux et du rééquilibrage des processus de décision.
Un examen attentif des sources, à différents niveaux (archives de la DMF, comptes rendus de réunions de groupements professionnels, monographies de musées, revues professionnelles) permet de dire que l’État n’a pas pu appliquer en province la même politique que dans les musées nationaux, du fait d’une implication précoce des municipalités dans le développement de leurs musées, de l’inadaptation de ses propres modèles et de l’insuffisance de ses moyens financiers et humains.
Un groupe professionnel dans le mouvement
Désignés par l’État, du fait de leur qualification professionnelle, pour gérer des collections, bon nombre de conservateurs ont relayé les revendications locales et se sont trouvés aux avant-postes du renouveau des doctrines, des pratiques et du cadre du métier. De la fin des années 1960 aux années 2000, on peut en suivre l’écho dans l’inflexion que prennent la politique de la DMF et les cadres réglementaires.
Plusieurs groupements professionnels ont alors servi de creuset aux réflexions sur la diversification des musées et la prise en compte des besoins des publics : l’Association générale des conservateurs des collections publiques de France publiait en 1969 un Livre blanc ; le secrétariat national à l’action culturelle du Parti socialiste appelait dès 1977 à un changement de mentalité ; l’association « Muséologie nouvelle et expérimentation sociale » militait dans les années 1980 pour diffuser de nouvelles pratiques, au plus près des territoires ; en 1989 fut fondée la Fédération des écomusées et musées de société.
Les débats portèrent sur l’abandon du modèle unique du « musée de Beaux-Arts », sur le traitement muséal du patrimoine ethnologique, archéologique ou des œuvres d’art contemporain, sur le fondement territorial des musées et leurs missions auprès des populations. On revendiquait la liberté d’expérimenter des formes nouvelles dans des projets locaux où le partenariat devient indispensable *. Les différences entre conservateurs d’État et territoriaux, faisant apparaître pour ces derniers des besoins spécifiques de formation et un champ de recrutement nécessairement plus large, posèrent la question de l’unité du statut.
Les conservateurs et la nouvelle donne
Dans le dernier chapitre, Frédéric Poulard s’appuie sur des observations directes et des interviews pour mesurer ce qui change dans l’exercice du métier.
À partir des années 1970, c’est en mettant en avant leur prérogative d’expert que les conservateurs ont construit leur légitimité : auprès de la DMF, ils ont défendu l’ancrage territorial du musée ; auprès des collectivités, ils ont mis en œuvre les doctrines communes de la muséologie. Désormais, gérer un musée de collectivité, perçu comme l’un des équipements d’une politique culturelle contractuelle, impose une démarche plus « entrepreneuriale ». L’auteur constate l’émiettement des tâches au quotidien et l’érosion de la part scientifique du métier de conservateur, tandis que deviennent nécessaires une culture du projet et des compétences relationnelles pour activer de nouveaux réseaux de collaboration et gérer « l’impulsion territoriale ».