Les liaisons dangereuses
Yves Desrichard
« La politique est la conduite des affaires publiques pour le profit des particuliers ». Diable *. Si tous les bibliothécaires étaient comme vous, cher Ambrose Gwinnett Bierce, où en seraient les relations entre politique, politiques, et bibliothèques ? Quoique. Et pourtant.
Qu’est-ce, pour un bibliothécaire, que la politique ? Esquissons. La « politique documentaire », qui explicite ce pour quoi on dépense par tombereaux l’argent public à constituer des collections ; la « politique en direction des publics », qui conditionne jusqu’au traumatisme la relation entre professionnels et fréquentants. Dans ce cas, qui sont les particuliers ? On n’ose répondre : les bibliothécaires. Mais bon.
Qu’est-ce, pour un politique, qu’une bibliothèque ? Un instrument, un réflexe, une obligation, une corvée, une contrainte, une vitrine, un boulet, un mystère, un nid, une incompréhension, une perspective, un désespoir (un espoir), une complication, un service, un projet, un budget, une équipe, des trouble-fêtes, des zélateurs, des électeurs, une influence (une mauvaise influence), des livres, des frais de chauffage, de la sécurité incendie, des collections électroniques – et à quoi ça sert, au fait, une bibliothèque ? Qui, encore, a besoin de bibliothèques ?
Le fossé est large, ou il est comblé. L’abyme se creuse, ou le pont se construit. Mais les attentes sont là, et elles sont de part et d’autre. Entre ignorances et répulsions, intelligences et envies. Ce n’est pas de l’amour, mais ça y ressemble. Diable.
Première provocation : pour un bibliothécaire de lecture publique, l’élu à la culture est le jouet de l’exécutif, qui est lui-même le jouet de son parti, qui est lui-même le jouet de son chef de parti, qui est lui-même le jouet du gouvernement (s’il est au pouvoir) ou des candidats au gouvernement (s’il n’est pas au pouvoir). Et tout ce beau monde est le jouet des médias, des banquiers, qui sont eux-mêmes les marionnettes du pouvoir.
Deuxième provocation : pour un bibliothécaire d’université, le président est le jouet de son conseil d’administration, dont les représentants sont les jouets de ceux et celles qu’ils représentent, qui sont les jouets de réseaux d’influence, d’intérêts contradictoires, etc. Et tout ce beau monde est le jouet des médias, des banquiers, qui sont eux-mêmes les marionnettes de (compléter suivant les pointillés).
Champ de ruines. Libération. La vérité est ailleurs, dans la mutuelle compréhension des uns et des autres, dans l’échange et l’intérêt bien compris du service public – pardon pour le gros mot. Se connaître, primordial. Se comprendre, essentiel. Le reste viendra tout seul. Utopie ? Bien sûr, mais l’utopie est une valeur politique qui ferait du bien, non ?
Le lecteur habituel est habitué : après un prologue à deux voix consacré à la Loi, prolégomènes et serpent de mer considérée comme un des beaux-arts, ce dossier du Bulletin des bibliothèques de France s’autorise un balancement qu’on espère fécond entre les affaires françaises et les affaires étrangères, qui offre déstabilisations et confortations, actions et réflexions et, donc, politique(s) et bibliothèques.