Haïti, l’Afrique et le web 2.0 : congrès de l’Ifla 2010
Jean-Philippe Accart
Au goût du jour, la conférence de l’International Federation of Library Associations and Institutions (Ifla) 2010 l’est à maints égards : branchés, connectés sur YouTube, Twitter, Facebook… en temps réel, les bibliothécaires du monde entier peuvent suivre la conférence de Göteborg (ou Gothenburg) en Suède du 9 au 15 août 2010. Nos collègues suédois relèvent le défi d’organiser une conférence d’une telle ampleur après l’annulation de celle de Brisbane en Australie pour cause de crise économique. Avec pour thème générique « Accès libre au savoir, promouvoir un progrès durable 1 », plus de 3 000 participants 2 sont dénombrés. Une cinquantaine d’« Ifla bloggers 3 » se relaie pour informer la communauté professionnelle des tendances, nouveautés et avancées du monde de l’information. Le site de l’Ifla reprend sous forme syndiquée (soit la liste compilée de tous les messages heure par heure, dans toutes les langues) tous ces micro-messages qui, assemblés les uns aux autres, forment un portrait certainement fidèle de la conférence 4. D’autre part, le groupe Ifla FAIFE (Comité sur la liberté d’accès à l’information et sur la liberté d’expression) ouvre une page Facebook 5.
Le dossier brûlant de Haïti
La conférence est loin d’être virtuelle, avec des préoccupations très concrètes. L’une d’elle, et non la moindre, est : « Comment sauver Haïti ? » L’Ifla s’implique fortement dès le début de l’annonce de la catastrophe le 12 janvier 2010 en désignant Danielle Mincio, membre du conseil d’administration de l’Ifla, comme représentante officielle de la Fédération pour Haïti : suite à plusieurs voyages et de nombreux contacts, un premier rapport est remis 6. À Göteborg, une session spéciale est organisée sur la reconstruction des bibliothèques dévastées par le tremblement de terre et la reconstitution d’une offre documentaire et éditoriale. L’accent est mis sur le projet d’Arche (Ark) lancé par Danielle Mincio, un centre de traitement et de restauration réalisé avec l’aide d’Architectes Sans Frontières. De nombreuses initiatives sont prises, telles celles du Bouclier bleu, de Bibliothèques Sans Frontières ou de la Bibliothèque nationale de France. Les efforts pour rebâtir les bibliothèques haïtiennes vont se poursuivre. Les bonnes volontés sont nombreuses, qu’elles viennent d’associations nationales (comme l’Association des bibliothécaires de France), de bibliothèques (comme la médiathèque de Hyères) ou de particuliers. L’association genevoise AGBD 7 fait un don en argent. L’association « Bibliothèques sans frontières » œuvre activement pour sa part, relaie les initiatives et peut également recevoir des dons dans le cas de Haïti 8.
Henning Mankell, lien entre la Suède et l’Afrique
Un des premiers orateurs invités est le célèbre auteur suédois de romans policiers, Henning Mankell. Outre un discours introductif, il est également l’invité d’une session à l’université de Gothenburg 9. D’une façon générale, les questions ont porté sur l’Afrique, les bibliothèques et la politique, car l’écrivain partage son temps entre la Suède et le Mozambique depuis une vingtaine d’années, et il est très impliqué au plan humanitaire sur ce continent. Pour lui, les bibliothécaires en Afrique ont un rôle important à jouer pour lutter contre l’illettrisme. En période de crise économique, les enfants et la culture sont souvent les premières victimes. Et ce, parce que les enfants ne votent pas et ne se plaignent pas, et parce que la culture est une « cible facile ». De cette réalité, Henning Mankell dit : « Nous ne devrions pas seulement dire aux hommes politiques qu’ils doivent nous aider, mais aussi pourquoi ils doivent nous aider. » Quant à la manière d’aborder les hommes politiques, il dit que l’on devrait « utiliser un langage efficace ».
Le Rapport mondial 2010 sur l’accès à l’information
Sorti juste avant la conférence annuelle, la publication du Rapport mondial de l’Ifla 10 est un des moments forts de l’année : il dresse un état de l’art de la liberté d’expression et de l’accès à l’information dans 122 pays en prenant un spectre assez large de bibliothèques. Une carte Google permet la navigation dans les différents pays du rapport avec la possibilité offerte aux utilisateurs de déposer des commentaires 11. Parmi les thèmes traités : bibliothèques et internet, aspects juridiques et légaux, aspects sociaux.
Une manière différente de conduire les actions de l’Ifla
L’Ifla est souvent perçue de l’extérieur comme une organisation complexe, peu capable de produire du concret. Rien n’est plus faux et ce, grâce à l’action des derniers présidents et secrétaires généraux, plus pragmatiques peut-être que leurs prédécesseurs. La conférence annuelle est en cours de réévaluation et subit d’importants changements (plus courte qu’auparavant, avec de nombreux ateliers satellites) ; le secrétariat permanent est plus efficace sous la houlette de l’Australienne Jennefer Nicholson ; l’Ifla essaye de réagir rapidement (voir le cas d’Haïti), elle est présente dans le monde grâce à ses représentations régionales.
La future présidente de l’Ifla en 2011, la canadienne Ingrid Parent, a présenté le programme « Construire des associations de bibliothèques solides » (Programme BSLA) 12. Le programme BSLA facilite la création et le maintien dans la durée des associations de bibliothèques. Pour cela, trois pays sont sélectionnés chaque année et la Sud-Africaine Ellen Tise – actuelle présidente – a annoncé que les pays sélectionnés pour l’année 2010 sont le Cameroun, le Liban et le Pérou. La Fondation Bill and Melinda Gates, qui soutient l’Ifla depuis plusieurs années, permet à trois pays supplémentaires de prendre part au Programme BSLA : le Bostwana, la Lituanie et l’Ukraine. Un site internet du BSLA est opérationnel à partir de septembre 2010, et rend accessible des études de cas et du matériel de formation à tous les membres de l’Ifla.
Le prix Marketing Ifla 2010
Depuis huit ans maintenant, la dynamique section Management et Marketing remet un prix annuel comprenant la somme de 1 000 $ et l’inscription gratuite au prochain congrès, sous l’égide du groupe éditorial Emerald – par ailleurs l’un des sponsors officiels de l’Ifla 13 : le prix récompense des actions marquantes pour faire connaître les bibliothèques. Cette année, il est décerné au Centre de ressources et d’apprentissage (LCR) de l’École de commerce indienne représentée par le Dr K. Mohan. La seconde place est accordée à la bibliothèque publique de quartier Gail Borden, aux États-Unis, et la troisième place à la bibliothèque de l’université de Bergen, en Norvège 14.
La bibliothèque 2.0 et les Linked Data
Le thème des réseaux sociaux est un thème sous-jacent et présent dans bon nombre de présentations cette année à l’Ifla. Plusieurs concepts sont évoqués : la bibliothèque hyperliens (Stephens et Collins) ; la bibliothèque sociale (de Sozial Bibliothek – Danesky et Heller) ; le catalogue 2.0 (Coyle) ; le Cataloblog (Bigwood). Le concept de bibliothèque hybride revient assez régulièrement. Olivier Le Deuff, l’un des intervenants d’un atelier très suivi, « Marketing et bibliothèque 2.0 15 », souligne le dynamisme de la blogosphère bibliothéconomique – qu’il appelle une « biblio-blogosphère ». Les blogs de bibliothèques permettent à tout utilisateur de « contribuer à construire l’identité de la bibliothèque », ce qui est une définition très juste.
La technologie des Linked Data est en plein essor et intéresse au plus haut point les bibliothèques. Rendre les données du web « plus intelligentes », c’est l’objectif avoué et qui semble atteignable grâce à cette technologie dites des données liées, projet du World Wide Web Consortium (W3C). Défendue par Tim Berners-Lee, co-inventeur avec Robert Cailliau du World Wide Web, cette technologie lie les données du web entre elles non pas par un lien hypertexte (comme c’est le cas actuellement pour les documents), mais par un identifiant, le « Uniform Resource Identifier » (URI). Un moteur de recherche dit « intelligent » fournira donc de meilleurs résultats grâce à cette technologie.
Seules quelques préoccupations actuelles des professionnels de l’information sont développées ici : il va sans dire que de nombreuses autres auraient pu l’être. Le programme intégral est en ligne sur le site de l’Ifla 16, avec quelques traductions françaises. La prochaine conférence internationale de l’Ifla est prévue à San Juan de Puerto Rico en août 2011.