Estivales 2010

Sébastien Dalmon

Les 5 et 6 juillet derniers, s’est tenue à Villeurbanne, à l’École nationale des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib), la troisième édition des Estivales. Elle s’est intéressée cette année aux relations des conservateurs avec la recherche, à la question de la modernité des bibliothèques et à la réforme de la formation des conservateurs de bibliothèque.

Le conservateur et la recherche

Lors de la première journée, Évelyne Cohen, professeure en histoire et anthropologie culturelles (Enssib), a animé une première table ronde intitulée « Le conservateur et la recherche, dans l’exercice du métier », en présence de Dominique Arot (Inspection générale des bibliothèques, IGB), Raphaëlle Bats (service commun de la documentation, SCD, de Lyon 1), Alain Carou (Bibliothèque nationale de France, BnF), Cristina Ion (BnF) et Delphine Queyreux-Sbai (bibliothèque municipale de Reims). Le rôle de médiateurs de la recherche que jouent les conservateurs a été souligné (interventions en amont de la recherche par la valorisation des collections…). La recherche ne s’effectue pas uniquement sur les fonds, mais aussi sur les publics, en sociologie, en gestion, et en sciences de l’information (et des bibliothèques !) Néanmoins, pour les différents intervenants, la recherche se fait le plus souvent en dehors du temps de travail effectif, particulièrement pour les conservateurs engagés dans une thèse de doctorat dont le sujet n’est pas forcément en lien avec leurs activités professionnelles.

La seconde table ronde, animée par Élisabeth Noël (Enssib), s’est penchée sur la place de la recherche dans la formation des conservateurs, avec Évelyne Cohen (Enssib), Rémi Mathis (SCD Paris 5), Nathalie Mezureux (École d’architecture de Lyon) et Christophe Catanèse (Enssib). Ont été abordés tour à tour : l’historique de la place de la recherche dans la formation à l’Enssib, les différentes formes qu’elle peut prendre (recherches doctorales ; histoire du livre et des bibliothèques ; sciences de l’information, gestion et management des bibliothèques, sociologie des publics…), et les évolutions envisageables : Christophe Catanèse a ainsi présenté les réflexions d’un groupe de travail sur l’évolution de la formation de conservateur. À titre de comparaison, Nathalie Mezureux a présenté un éclairage instructif sur la place de la recherche en école d’architecture.

Cette première demi-journée s’est achevée par une conférence très stimulante de Christian Jacob (directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales). Plaidant pour un plus grand rapprochement entre bibliothécaires et chercheurs, il a présenté le deuxième tome très attendu des Lieux de savoir, qui doit paraître à l’automne 2010 chez Albin Michel. L’ouvrage, s’inscrivant comme le premier tome dans une démarche pluridisciplinaire, internationale et ouverte à toutes les périodes de l’histoire et toutes les aires géographiques, mettra l’accent sur l’étude des pratiques savantes dans leur matérialité, impliquant notamment des corps, des gestes, des objets et des savoir-faire, dans une démarche d’anthropologie historique.

Revisiter la modernité

La matinée du 6 juillet a été occupée par une table ronde animée par Thierry Ermakoff (Enssib) sur le thème « Revisiter la modernité ». Pierre Carbone (IGB) a synthétisé les évolutions en cours dans le monde des bibliothèques, tant universitaires que publiques, concernant à la fois les collections (développement des supports numériques…), les publics, l’environnement institutionnel, les lieux et les services (physiques mais aussi virtuels), les compétences (médiation, formation, gestion de bases de données…), le tout dans un contexte de diversification de plus en plus importante. Mathilde Servet (BnF) a présenté ensuite une communication sur la bibliothèque comme « troisième lieu  * », intégrant les approches du marketing, une parenté revendiquée avec l’univers marchand (inspiration des shopping centers, shop in shop model), l’insertion de divers services et lieux de convivialité, (ab)usant de nouvelles appellations (idea stores, learning centers…) ou de devises conquérantes (« être la bibliothèque la plus moderne du monde »), privilégiant l’expérience, la communication, le branding, le renouveau de la sémantique architecturale, le design pop ou le loisir.

Élisabeth Noël (Enssib) a livré ses impressions de visite du Rolex Learning Center de l’École polytechnique fédérale de Lausanne, ses photos montrant un espace très grand et très vide, sans limites marquées, où l’on peine parfois à trouver des lecteurs et des livres.

Christophe Evans (Enssib – Bibliothèque publique d’information) a ensuite analysé les vrais publics des bibliothèques et leurs attentes, qui sont en fait très variées (traditionnelles ou plus modernes) et souvent contradictoires. Son étude a différencié trois types d’usagers : les adultes en bibliothèques municipales (BM), les jeunes (11-18 ans) en BM, et les étudiants en bibliothèques universitaires et en BM.

Anne-Marie Bertrand a proposé, enfin, de déconstruire la modernité des bibliothèques. Elle a d’abord montré que le modèle de bibliothèque publique est en voie d’obsolescence, décalé par rapport aux attentes et aux évolutions culturelles et sociales. Le concept de modernité apparaît justement comme la pierre de touche de toute évolution depuis au moins cinquante ans. Cette modernité devient même parfois asphyxiante, une sorte de fuite en avant, dévalorisant tout ce qui est ancien comme « archaïque » et valorisant le culte du dernier venu et de l’innovant.

Il n’en demeure pas moins que les bibliothèques ont sérieusement besoin de modernité, dans des domaines aussi variés que l’offre documentaire (sous des formes renouvelées, plus virtuelles), l’accueil et l’hospitalité (avec le projet politique d’égalité d’accès à la culture), ou la communication (aidée d’un marketing plaidant pour l’utilité sociale des bibliothèques).

La réforme de la formation des conservateurs

L’après-midi du 6 juillet a porté sur la réforme en chantier des conservateurs de bibliothèque. La directrice de l’Enssib, Anne-Marie Bertrand, a d’abord présenté l’ensemble de l’offre de formation de l’école, intégrant plusieurs masters, la formation continue et un projet de formation à distance. Christophe Catanèse, responsable de la formation initiale des conservateurs, s’est focalisé ensuite sur le cœur du sujet, présentant l’offre actuelle et un projet élaboré dans le cadre d’un groupe de travail intégrant différents professionnels. Ces interventions ont donné lieu à un riche dialogue. L’accueil du public par rapport aux évolutions annoncées a été favorable, notamment autour du nécessaire besoin de personnaliser davantage les parcours, les conservateurs stagiaires et promus ayant des compétences et des aspirations hétérogènes. Exercice difficile, mais stimulant, rendu encore plus nécessaire par les mutations actuelles et les nouveaux enjeux au sein de notre environnement professionnel.

Ainsi, les Estivales de l’Enssib sont en passe de devenir un rendez-vous privilégié pour réfléchir ensemble à ces évolutions, et l’on ne peut que s’en réjouir.