Optimiser l’observation et l’évaluation des bibliothèques
Marie-Pascale Bonnal
Ils n’étaient pas trop de trois pour l’organisation, le 15 juin dernier, d’un séminaire au centre Georges Pompidou autour de cette question : « Quelles collaborations pour optimiser l’observation et l’évaluation de la bibliothèque publique ? ». La fédération interrégionale du livre et de la lecture (Fill), le service du livre et de la lecture du ministère de la Culture et de la Communication (SLL) et la Bibliothèque publique d’information : trois fées bienveillantes pour une journée riche et variée qui, à défaut d’apporter beaucoup de réponses, proposa éclairages, réflexions et points de vue divers et roboratifs *.
Finalités de l’évaluation
Dans son propos introductif, Dominique Arot, inspecteur général des bibliothèques, rappela que les finalités de l’évaluation sont étroitement liées à l’origine des demandes. Elles sont ainsi différentes pour l’État, qui utilise les résultats pour le contrôle technique et la comparaison internationale, pour les collectivités territoriales et les conseils d’université, pour lesquels il s’agit d’une aide à la décision budgétaire. La comparaison des moyens devient la norme en lieu et place d’objectifs et argumentaires construits. Dominique Arot évoqua aussi ce que certains pourraient considérer comme des « dérives » de l’évaluation. Le classement des bibliothèques, effectué pour une revue hebdomadaire bien connue, est parfois mal ressenti car les critères d’évaluation ne sont pas élaborés avec les associations professionnelles.
Dans son exposé sur « Les normes internationales ISO 2789 et ISO 11620 », Pierre-Yves Renard, responsable de la bibliothèque de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), président de la commission Afnor CG46/CN8 « Évaluation des résultats », pointa les paradoxes de la normalisation, qui demande temps, consensus et recul, alors que les bibliothèques – dans une vision optimiste – évoluent vite, dans des directions différentes, parfois de façon expérimentale. « Quelles histoires nos chiffres vont-ils raconter ? Si l’on s’en tient au stock de livres, c’est un entrepôt ! […] À quoi sert une norme ? À définir ce que l’on va compter… » Cette définition serait plus que bienvenue pour établir ce qu’est une bibliothèque, tant l’incertitude sur le corpus est grande, entre les 4 400 bibliothèques publiques recensées par le ministère de la Culture et de la Communication, les 14 000 (?) établissements recensés par la Société française des intérêts des auteurs de l’écrit… et les 17 000 de l’Association des directeurs de bibliothèques départementales de prêt (ADBDP).
De passionnantes tables rondes
Cette passionnante intervention sur un sujet pourtant aride fut suivie d’une table ronde sur la collecte des données : Iegor Groudiev, responsable de l’observatoire de la lecture publique du SLL, synthétisa les travaux du groupe évaluation de l’ADBDP en rappelant les enjeux de l’exercice : rénover le questionnaire d’enquête du ministère de la Culture et de la Communication à destination des bibliothèques municipales et des bibliothèques départementales, étendre son périmètre pour une meilleure prise en compte des réseaux existants, et repenser entièrement son exploitation. La restitution des informations via la création d’un site internet spécifique, en coopération avec la BPI, proposera une cartographie interactive et multipliera les possibilités de comparaisons et de récupération de données… Laëtitia Bontan, directrice de la BDP de l’Aisne et responsable du groupe évaluation de l’ADBDP, détailla ensuite l’application du nouveau questionnaire, en test dans son département, et les modalités d’organisation de la collecte des données par secteurs géographiques. Élisabeth Meller-Liron, chef du service de la création, du développement culturel et de la formation à la direction régionale des affaires culturelles (Drac) d’Aquitaine, rendit compte de l’influence de la mise en place de la révision générale des politiques publiques (RGPP) dans le positionnement des Drac. Elle releva le retard des bibliothèques, par rapport aux autres équipements culturels, dans l’adoption d’outils d’évaluation, qu’elle impute à la faiblesse des données disponibles et à la désaffection de certains professionnels en ce domaine. Léonor de Nussac, directrice de l’Agence régionale du livre Provence-Côté d’Azur apporta le témoignage d’un travail étroit avec les BDP et de l’utilisation de la base RIC (réseau d’information culturelle) gérée par la Cité de la musique à Paris, outil formidable de croisement d’informations.
Deux tables rondes tout aussi passionnantes se partagèrent l’après-midi, l’une consacrée à l’exploitation des données par les professionnels de la lecture publique, l’autre à l’exploitation de ces mêmes données par les tutelles publiques et les partenaires privés.
Enfin, avec sa pertinence sarcastique habituelle, Dominique Lahary, vice-président de l’Association des bibliothécaires de France (ABF) rappela que si les bibliothécaires savent très bien communiquer entre eux, un large travail reste à faire pour communiquer avec les autres, et notamment les « décideurs » et le grand public. À l’heure du « story telling », il convient pour lui de dépasser l’indicateur du nombre d’inscrits, jusque-là largement utilisé, puisqu’il est en baisse. En quelque sorte, au lieu de compter les usagers, on va désormais compter les usages, comme la bibliothèque départementale du Val-d’Oise s’y essaie. Supports et méthodes de restitution furent ensuite disséqués, non sans humour, proposant une conclusion goûteuse et faussement folâtre à une journée dense, qui conforte la Fill comme interlocuteur matière de lecture publique.