Les politiques publiques de la culture en France

par Annie Gay

Pierre Moulinier

Paris, PUF, 2010, 217 p. ; 18 cm
Coll. Que sais-je ?
ISBN 978-2-13-057903-8 : 9 €

On comprend aisément, à la lecture de la somme considérable d’informations contenues dans le cadre des 124 pages réglementaires du « Que-sais-je ? » sur la politique culturelle française, la pertinence du pluriel de son titre. Pierre Moulinier a été chargé d’études et de recherche au ministère de la Culture et de la Communication, ce qui lui vaut une connaissance approfondie de la question, à laquelle s’ajoute une indéniable virtuosité pour dresser d’une façon claire, méticuleuse et organisée un tel inventaire – que l’on veut espérer exhaustif – des interventions de l’État et des collectivités territoriales dans les champs, désormais multipliés, concernés par les politiques publiques de la culture.

La diffusion des compétences

La démocratisation telle que l’entendait André Malraux n’avait d’autre but que de donner au plus grand public possible l’accès à des œuvres reconnues, dignes d’appartenir à « une » culture dont les valeurs essentielles étaient définies et partagées par une petite partie de la population, considérée comme une élite. L’évolution rapide de la société française sous le double effet – notamment – d’une éducation massivement ouverte et du développement accéléré des technologies de communication et d’information a profondément accru et complexifié la définition de la culture elle-même. Il s’en est suivi un élargissement des enjeux de la politique culturelle, au-delà du patrimoine et de la création, aux domaines économique et social. Les lois sur la décentralisation ont fait le reste.

Une organisation démultipliée

Selon un plan en trois parties, qui traite successivement des objectifs, des moyens et des résultats de ces politiques, se déploie transversalement de chapitre en chapitre, dans une arborescence exponentielle, une énumération précise et documentée de tous les points de vue susceptibles d’éclairer et de définir les facettes de l’action culturelle publique. Ainsi, sont présentés successivement les acteurs, les objectifs (culturels et non culturels), les types de soutiens, les techniques de financement, les nombreuses combinaisons coopératives, les fonctions du ministère et des Drac (directions régionales des affaires culturelles), l’action des collectivités territoriales… Et tout de même, enfin, au passage, noyés dans cette tourmente administrative, les artistes. Ils sont associés aux propriétaires de monuments dans le groupe du « secteur culturel privé », entre, en amont, les institutions, et, en aval, les emplois culturels et les bénévoles.

Des résultats contrastés

En abordant, dans sa troisième partie, les résultats de cette action publique foisonnante et tentaculaire, Pierre Moulinier soulève l’épineuse question de son évaluation. L’élargissement considérable de l’offre est quantifié et confirmé par les statistiques dénombrant les équipements culturels sur le territoire ; de même, l’évolution malheureusement peu encourageante de la fréquentation et de l’usage de ces équipements est révélée par des enquêtes statistiques et sociologiques. En revanche, les objectifs qualitatifs qui s’expriment dans les termes généraux de « diffusion », « formation des jeunes », « recréation du lien social », « lutte contre les inégalités », « renforcement de la démocratie »…, échappent à toute possibilité pertinente d’analyse quantitative, et bien entendu qualitative. D’ailleurs, s’interroge l’auteur, les pratiques culturelles ne dépendent-elles pas du libre vouloir ? Ne sont-elles pas largement placées sous l’influence de phénomènes sociaux dont les plus sensibles concernent notamment le développement de « nouvelles » technologies, et la généralisation actuelle de pratiques individuelles de « consommation » culturelle, en matière de recherche d’information, d’autoformation, d’échanges, voire, potentiellement, de création ?

Une politique culturelle « désenchantée »

Ce complet et très complexe exposé se ferme sur un bilan critique d’une situation que Pierre Moulinier qualifie de « désenchanté ». La prospérité des années quatre-vingt a présidé à la multiplication des centres de décision, des types d’action, du nombre d’institutions, à une inflation d’événements et de fêtes et à une excessive institutionnalisation ; l’État doit maintenant les assumer et les pérenniser dans une période de crise financière. Par ailleurs, les missions des politiques culturelles sont menacées d’obsolescence en raison des rapides évolutions politiques, sociales et technologiques de ces dernières décennies. L’urgence, selon l’auteur, paraît donc de leur donner un nouveau sens et de les recentrer sur un projet culturel à long terme dont la cohérence devra être renforcée.