Concevoir l'index d'un livre : histoire, actualité, perspectives
Jacques Maniez
Dominique Maniez
ISBN 978-2-84365-099-4 : 28 €
Il serait paradoxal d’avoir à convaincre un lecteur du Bulletin des bibliothèques de France qu’il est utile, voire nécessaire, d’établir un index au moment de publier un ouvrage documentaire : le principe d’accéder à l’information par un ordre alphabétique des sujets traités, distinct mais complémentaire de la table des matières, est assez courant de nos jours pour n’être plus discuté. Mais le constat que nous apprennent les auteurs de ce livre, c’est qu’il n’existait pas encore, sur l’art d’indexer, de synthèse en français : leur projet serait donc, avec ce traité qui se veut à la fois historique et pratique, de battre en brèche le monopole des publications anglo-saxonnes.
L’ubac : pratique et pédagogique
Dans une première partie fort détaillée, nous trouverons une mine d’explications, de consignes et de conseils pour concevoir en toute circonstance des index de qualité : choisir des entrées pertinentes, les structurer si besoin pour faire apparaître, comme dans un « miroir du livre », leur agencement hiérarchique au sein de l’ouvrage, et bien sûr normaliser leur présentation – la cohérence méthodique dont on relève le souci permanent fait de cette lecture un intéressant questionnement sur nos propres manières d’indexer une publication, de même qu’elle nous fait découvrir de multiples critères pour mieux juger les index d’autrui. On appréciera, d’autre part, les considérations minutieuses qu’inspire à nos auteurs l’indexation automatique par des progiciels associés au traitement de texte, et le relevé constructif de leurs insuffisances, qui devraient amener l’indexeur à tirer le meilleur profit de ces technologies d’appui.
Ce manuel pratique n’omet, semble-t-il, aucun aspect du sujet traité ; il fait naturellement l’objet d’un index, au terme d’un travail de mise en abyme qui le rend exemplaire et devrait nous démontrer le savoir-faire de ses auteurs.
Mais curieusement, sa limpidité souffre d’un brouillage, qui tient à la coexistence au cœur du même volume d’une section rétrospective très différente, dont justement l’indexation paraît moins facile, moins complète et moins rigoureuse. Par le fait même, la fusion délibérée de son index avec celui du manuel contredit quelque peu les impératifs de clarté que nous prodiguait à bon droit la première partie.
L’adret : partiel et perfectible
Cet autre versant du livre se présente comme une histoire sommaire de l’index à travers les âges, ce qui pourrait donner l’envie de commencer par là notre lecture. Mais s’il est instructif et plaisant d’identifier comme l’ancêtre de nos index modernes la table des concordances bibliques ou celle des lieux communs inspirés d’Aristote, si l’on comprend avec jubilation les influences qu’ont exercées sur la conception des index l’apparition de l’imprimerie, le développement des langues vernaculaires, l’apparition enfin des outils informatiques, l’impression demeure que les chapitres en cause ne tiennent pas tout à fait les promesses de leurs auteurs.
Bien plus que d’une histoire à proprement parler, cette partie relève en effet d’une compilation de sources dont la plupart sont anglo-saxonnes, et produit plutôt l’effet d’une juxtaposition de notes de lecture que d’une véritable analyse de première main. Symptomatiques en sont un languissant découpage par siècles, que ne justifient pas toujours les articulations du contenu, et la curieuse réduction de l’étude aux productions françaises et anglophones, qui refuse au foisonnant domaine germanique, par exemple, tout droit de cité.
Parfois encore, les illustrations du propos semblent issues de présélections que les auteurs ne maîtrisaient pas tout à fait. Pour n’en citer qu’un exemple, les techniques d’indexation des textes littéraires, notamment des romans, font l’objet d’évocations rapides, voire succinctes : si l’on souligne l’exceptionnelle qualité du récent index de la correspondance * de Flaubert, établi pour la Pléiade sous la direction d’Yvan Leclerc, le lecteur est surpris de ne trouver aucune référence à l’établissement de l’index des Hommes de bonne volonté de Jules Romains, gigantesque entreprise éditoriale jugée nécessaire par le fondateur de l’unanimisme, qui progressait au même rythme que la publication, et qui de nos jours est encore la meilleure clé d’accès à cette œuvre tentaculaire.
On l’aura compris, cet exercice d’historiographie spécialisée n’offre pas le même degré d’excellence que son vis-à-vis pédagogique. On en devinera sans peine quelques raisons : en l’absence de travaux antérieurs, collecter la matière première de l’étude supposerait un long effort de repérage avant toute exploitation de type scientifique, et dépasserait le propos du présent livre qui voulait seulement, d’après sa préface, faire apparaître « la problématique des index », pour susciter peut-être des initiatives de recherche parmi ses lecteurs. Reste à savoir s’il fallait véritablement donner cette ampleur à la seconde partie, laquelle pouvait constituer, sous une forme plus condensée, l’introduction du manuel, et mettre en valeur sans les alourdir les réelles qualités pratiques de cet ouvrage.