Graphisme et édition
Geneviève Chaudoye
Coll. Pratiques éditoriales
ISBN 978-7654-09788-6 : 26 €
Graphisme et édition est à la fois un ouvrage sur l’histoire du graphisme et un guide pratique à l’usage des professionnels du livre. Geneviève Chaudoye, graphiste elle-même, constate la méconnaissance du métier de graphiste, malgré la visibilité de sa production dans l’édition, la communication, la signalétique. Elle en donne certaines raisons : les graphistes, à la fois auteurs et prestataires de service, exercent une profession qui a largement évolué dans le dernier quart du XXe siècle, provoquant une « dilution des frontières de son activité et une perception floue de la définition de son exercice ». La diffusion des logiciels de traitement de texte et d’image est aussi en cause : ceux-ci permettent de produire des mises en page, de traiter des images, sans nécessairement maîtriser les règles et les codes, sans en posséder la culture ou le savoir-faire. On constate aussi certaines aberrations dans les relations entre les graphistes et leurs commanditaires, du genre : « Ma secrétaire n’aime pas le jaune, est-ce que vous pourriez l’enlever ? ». C’est sans doute l’une des motivations de l’auteure que de permettre aux professionnels du livre et, plus largement, aux commanditaires de travaux graphiques, de se « familiariser avec cette profession […] et de cerner son rôle culturel et économique ».
Une histoire, des histoires
La première partie du livre présente l’histoire du graphisme, depuis la fin du XIXe siècle. Cette histoire se dévoile au travers des évolutions techniques de l’imprimerie et des pratiques rendues possibles par la révolution numérique. Geneviève Chaudoye propose une lecture chronologique du graphisme dans ses différents champs d’application (édition, affiche, logotype, signalétique). Les liens étroits du graphisme avec les mouvements artistiques et sociaux du XXe siècle sont ici largement développés : l’Art nouveau, le mouvement Arts & Crafts, le Bauhaus, De Stijl, le constructivisme, le dadaïsme, le mouvement punk. Le propos, bien que centré sur le graphisme tel qu’il a évolué en France, donne cependant toute leur place aux influences européennes – la Suisse, la Pologne, les Pays-Bas, l’Angleterre – ainsi qu’aux États-Unis. Ces pays, qui ont développé une culture graphique forte et un enseignement remarquable, ont ainsi largement contribué à façonner le visage du graphisme français, notamment à travers de grandes figures comme Henrick Tomaszewsky, Roman Cieslewicz, Milton Glaser, Jean Widmer, Neville Brody, Ruedi Baur…
L’un des intérêts de cet ouvrage est qu’il propose, comme fil conducteur, le croisement entre la création graphique et la création typographique, deux disciplines historiquement cloisonnées, mais étroitement liées et dont l’interdépendance est particulièrement forte dans l’édition. Les (r)évolutions typographiques jalonnent cette partie historique au travers d’exemples illustrés de créations de caractères : de Stanley Morrisson (Times), à Pierre di Sciullo (Minimum), en passant par Jan Tschichold (Sabon), Paul Renner (Futura), Adrien Frutiger (Univers), Max Miedinger (Helvetica), Wim Crowel (New Alphabet), Neville Brody (Blur), P. Scott Makela (Dead History).
Un guide pratique
Les chapitres suivants constituent un guide où sont présentées les règles, les connaissances et les pratiques du graphisme dans le domaine de l’édition. Bien que le propos soit accessible à tous les professionnels du livre, ces chapitres comportent une multitude d’exemples et de précisions techniques qui semblent parfois plus destinées aux graphistes eux-mêmes.
Dans un premier temps, l’auteure définit les termes employés en typographie (caractère, police, corps, hauteur d’x, hauteur d’œil, point didot, chasse, cadratin, empattement) et en mise en page (fer à gauche, justification, interlignage, césure). Elle reprend les principales règles typographiques en usage à l’Imprimerie nationale et propose des paramétrages des logiciels professionnels de mise en page, XPress et InDesign (certaines copies d’écran sont minuscules mais suffisamment utiles pour que l’on prenne la peine de se munir d’une loupe !). Dans une approche qui réunit l’héritage du passé et les techniques contemporaines, l’auteure aborde des notions fondamentales dans la composition des textes, comme la lisibilité des signes.
Le chapitre suivant est consacré aux différentes classifications employées pour les alphabets (classification Thibaudeau, Vox-Atypi, Fontfont). Des comparaisons de dessins de lettres s’avèrent très utiles pour comprendre les évolutions historiques et choisir, à bon escient, parmi la multitude des styles.
Sont ensuite abordées les questions de formats, de proportions (le nombre d’or), les grilles de mise en page, les marges, dont les principes, en continuelle évolution, s’appuient sur les recherches de graphistes contemporains autant que sur celles du Bauhaus ou de manuscrits de l’époque médiévale !
Dans la cinquième partie, il est question de couleurs, d’abord sous un angle historique, en s’appuyant notamment sur les travaux de Michel Pastoureau, mais aussi technique : le cercle chromatique de Newton, les principes de synthèse additive et soustractive, les modèles RVB, CMJN, TSL. La perception des couleurs est aussi sensitive, variable d’un individu à l’autre. Elle dépend du contexte formel (contrastes simultanés, contrastes successifs) et du contexte culturel, qui conditionne la symbolique des couleurs. Ces notions sont illustrées par des couvertures de livres, et par leur évolution au sein des collections éditoriales.
L’ouvrage se termine de manière particulièrement intéressante pour l’ensemble des professionnels du livre. Geneviève Chaudoye propose en effet un petit guide de bons usages entre graphistes et éditeurs : les appels d’offres, les devis, les factures et des exemples de relations de travail fructueuses, dans lesquelles les rôles de chacun sont clairement définis. Comme le résume Pierre di Sciullo : « Un bon projet de graphisme, c’est un bon commanditaire » (et vice versa !).
Un ouvrage de référence ?
Les livres sur le graphisme ne sont pas nombreux en France. Il faut donc saluer le travail de synthèse de Geneviève Chaudoye. Et puisqu’il est question de mise en page, on peut observer que celle de ce livre est rigoureuse et que les pages de titre sont plutôt réussies. Sa densité peut toutefois effrayer les « amateurs » de graphisme : on aurait préféré un livre un peu plus aéré, ce qui aurait sans doute rendu son prix moins abordable.
On regrettera aussi l’absence d’un chapitre consacré au papier : les textures, les couleurs, les propriétés mécaniques des papiers et leur impact environnemental (normes FSC et PEFC) participent elles aussi à la réussite d’un projet d’édition.
Quoi qu’il en soit, ce livre n’a pas pour objet la promotion du graphisme et vise plutôt à favoriser la (re)connaissance réciproque des professionnels de la chaîne du livre. C’est aussi un outil d’apprentissage. L’auteure s’appuie sur des exemples bien illustrés, avec un propos clair, ponctué d’extraits et d’entretiens avec des professionnels (graphistes, typographes, éditeurs) afin de tenir un discours précis et d’éviter le piège du dogmatisme. Geneviève Chaudoye présente ainsi un condensé des connaissances et des règles, tout en laissant ouvert le champ de la création et le possible rejet des conventions. Car comme l’a écrit le typographe Jan Tschichold : « Si l’on veut être capable de briser les règles avec élégance, encore faut-il les connaître. »