Les e-books en bibliothèque
Fabien Douet
Élodie Dupau
L’IUT Michel de Montaigne de l’université Bordeaux 3 accueillait, le jeudi 25 mars dernier, une journée professionnelle sur le thème des e-books en bibliothèque. Cette cinquième journée s’inscrit dans un cycle de formation coorganisé avec le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et portant sur les relations des bibliothèques avec internet. Deux intervenants se sont relayés pour exposer les problématiques liées à l’apparition du livre numérique. Le matin, Hervé Bienvault, consultant en stratégie numérique et auteur du blog « Aldus-depuis 2006 1 », a réalisé un état des lieux du marché actuel des e-books. L’après-midi, Daniel Bourrion, conservateur chargé de la bibliothèque numérique du service commun de la documentation (SCD) d’Angers et auteur du blog « Face Écran 2 », a présenté l’expérience du prêt de livrels à la bibliothèque universitaire d’Angers.
Lecture sur livrel : l’an zéro en France
Hervé Bienvault a mis en évidence la rapide évolution des dernières expérimentations sur le livre numérique et l’avance des États-Unis sur l’Europe dans ce domaine. L’arrivée de l’encre électronique en 2004 a marqué un tournant en offrant un confort de lecture quasiment identique à celui du papier, grâce à l’absence de rétro-éclairage. Peu consommateurs en énergie, ces readers possèdent en outre une autonomie de trois semaines à un mois. De même, la relative simplicité technologique des appareils entraîne une baisse continue des prix : certains modèles pourraient atteindre dès septembre 2010 le montant de cent euros. Aujourd’hui, l’offre se diversifie et de nouvelles perspectives apparaissent : récupération des contenus via internet, écriture sur les tablettes, téléchargement sur un appareil multifonction (smartphone). Le Kindle d’Amazon, actuellement leader sur le marché, va rapidement être concurrencé par divers projets (entrée prochaine de Google sur le marché, format libre e-pub, etc.).
En France, la lecture sur e-book en est encore à « l’an zéro », en raison notamment de l’offre limitée de contenus qui freine l’achat de ce nouveau support. La présence de contenus numériques sur les catalogues des maisons d’édition reste marginale et dépend de la volonté de leurs dirigeants (on totalise seulement 10 000 titres à ce jour). La création d’une plateforme de stockage et de diffusion commune à tous les éditeurs, à l’instar de Libreka en Allemagne, permettrait de mutualiser les coûts, d’obtenir des subventions de l’État et une plus grande transparence pour les auteurs. En effet, une redéfinition des droits d’auteur appliqués aux contenus numériques s’impose, dans un contexte où le prix de fabrication du livre est moindre 3 et où l’auteur peut s’auto-diffuser via son site internet. Des initiatives ont vu le jour : Publie.net, coopérative d’auteurs fondée par François Bon, propose sur sa plateforme de vente de livres numériques des textes inédits ou épuisés d’auteurs contemporains. Des libraires, tels Bibliosurf ou la librairie Dialogues à Brest, se sont lancés sur le marché. Enfin, des éditeurs offrent des versions numériques d’ouvrages imprimés (à l’exemple du Petit Futé), rendant possible une micro-impression papier personnalisée. Du côté du lectorat, les utilisateurs, plutôt « gros lecteurs », sont souvent des hommes, quadragénaires, mais la proportion de femmes et de personnes âgées augmente. La pratique de la micro-lecture (3 à 4 pages par jour) est favorisée par le smartphone, et l’usage de livres techniques, à visée professionnelle, constitue un marché important.
Finalement, face à l’introduction inévitable de l’e-book en France, un défi majeur apparaît : maintenir notre écosystème du livre, caractérisé par un réseau étendu de librairies de proximité et l’application du prix unique.
Une expérience unique à Angers
L’après-midi, Daniel Bourrion a présenté l’expérience de prêt de livrels débutée en septembre 2008 à la BU d’Angers. Une expérience remarquable, lancée au sein d’un campus se situant exactement dans la moyenne nationale, que ce soit en termes de nombre d’étudiants, de formations proposées et de budget. Des 17 000 étudiants de l’université, 12 625 sont inscrits à la bibliothèque mais seulement 7 000 y sont actifs. Le service commun de la documentation (SCD) dispose d’une véritable section numérique employant quatre personnes.
Le projet s’est concrétisé par l’achat de dix CyBook Gen3 de Bookeen et le don de dix PRS 505 par le fabricant Sony. L’arrivée des vingt machines a suscité des questionnements, voire des craintes, au sein de l’équipe du SCD. Des réunions ont donc été organisées pour familiariser et rassurer les bibliothécaires, qui ont pu manipuler et emprunter ce nouvel outil encore méconnu. L’intégration des livrels au SIGB (système intégré de gestion de bibliothèque) et les modalités de prêt ont été simplifiées : à chaque machine correspondent un code-barres et une notice basique ; comme pour les monographies imprimées, le prêt est effectué pour une durée de 28 jours, sans câble USB ni mode d’emploi. Destinés à l’origine au campus de lettres et sciences humaines, les livrels contiennent 90 textes issus de Publie.net : le but est d’associer à ces appareils innovants des écrits inédits. À leur retour, une personne vérifie leur état, efface tout le contenu – les usagers pouvant y télécharger des données – et les recharge.
L’expérience est riche d’enseignements. Vu la rapidité des avancées technologiques, les machines sont dépassées dès leur achat. Toutefois, simples d’utilisation, elles ont trouvé leurs lecteurs, qui déplorent l’offre fermée et l’impossibilité de choisir des contenus dans la bibliothèque. Des perspectives s’ouvrent pour s’adapter aux demandes des usagers : sélection de contenus autour d’une manifestation ou d’un thème, développement de la communication et de la médiation, remise en cause des pratiques professionnelles.
À l’issue de la journée, les deux intervenants ont souligné l’importance d’une réflexion collective des professionnels du livre pour mener à bien l’implantation de l’e-book en France et sa cohabitation avec le livre papier, qui n’est pas voué à disparaître.