Médiation et valorisation du patrimoine écrit et graphique en direction des jeunes

Journée d'étude du centre du livre et de la lecture de Poitou-Charentes

Olivier Desgranges

« Rien de plus antinomique, à première vue, que l’activité de l’archiviste et celle du muséographe : celui-ci a pour principale fonction de faciliter au public l’accès d’œuvres qui présentent d’emblée un certain attrait pour le public, tandis que l’archiviste est là, avant tout, pour préparer le travail d’un autre spécialiste, pour trier, classer, étudier des documents qui ne prendront leur valeur réelle qu’entre les mains de l’historien, du chercheur, déjà initié ; l’un doit perpétuellement se placer du point de vue du public, l’autre doit dans une certaine mesure s’en garder afin de satisfaire d’abord le savant 1… »

C’est par cette citation parlante que Benoît Jullien, directeur des Archives départementales de Charente-Maritime, a défini la problématique et les enjeux de la journée d’étude du 22 avril dernier, consacrée à la « médiation du patrimoine écrit et graphique en direction des jeunes ». Cette journée, organisée à Poitiers par le Centre du livre et de la lecture de Poitou-Charentes, avait pour objectif d’étudier les possibles modes de valorisation du patrimoine écrit et graphique (PEG) auprès des jeunes publics, en milieu scolaire notamment.

Le périmètre de l’archive

Le thème d’étude concernait aussi bien les bibliothèques disposant de collections patrimoniales que les services d’archives. Il était donc tout naturel que la journée commence par un exercice de définition du PEG qui mette en lumière l’identité et les différences des fonds patrimoniaux de bibliothèque et des fonds d’archives. Serge Bouffange, directeur de la bibliothèque municipale classée (BMC) de Poitiers, montrait ainsi l’absence de définition juridique stricte du patrimoine en bibliothèque. Benoît Jullien insistait sur la notion de décision de conservation définitive comme déterminant le statut de document d’archive. C’est de cette décision que découle le paradoxe sous lequel la journée était placée : alors que les services d’archives sont souvent à l’écart des centres-villes et des circuits touristiques ou patrimoniaux, et que la fonction première des archives est de préserver les documents, la mission éducative prend une place grandissante, de même que le nombre d’agents qui y sont affectés. D’où les questions débattues à partir des exemples concrets de valorisation exposés par la suite : comment concilier conservation et médiation ? Quels outils pédagogiques employer pour donner accès à des documents qui peuvent être, au premier abord, « austères » ? Quels partenariats développer avec les enseignants et avec les autres institutions culturelles ?

L’enjeu de la valorisation du PEG est clairement énoncé par la circulaire interministérielle du 29 avril 2008, qui stipule que « la généralisation de l’éducation artistique et culturelle suppose que chaque école, chaque collège et chaque lycée soient engagés dans un partenariat avec les institutions culturelles qui l’environnent, dans le cadre, si possible, d’un projet de territoire 2 ». De ce point de vue, l’écart entre les pratiques de valorisation des archives et celles des bibliothèques, fortement souligné par une étude menée en 2009 par le Centre du livre et de la lecture Poitou-Charentes, apparaissait rapidement dans les exposés.

Les archives et le public

Les services d’archives proposent des animations régulières, à partir d’un large spectre d’objets, en direction de publics variés, de la maternelle aux maisons de retraite en passant par les étudiants. Les Archives départementales des Deux-Sèvres ont ainsi présenté différentes formes d’exploitation d’une exposition sur l’eau, mais aussi un concours organisé en partenariat avec l’inspection académique. Chaque classe devait choisir une photo dans un fonds d’archive, et rédiger ensuite un récit littéraire en rapport avec le thème du « portrait de famille ». Les classes avaient également la possibilité de réaliser une création artistique. Le concours a rencontré un vif succès et a donné lieu à une remise de prix au château d’Oiron. Les réalisations des élèves ont ensuite été exposées aux Archives.

L’apport de ces dispositifs est de pouvoir travailler avec des enseignants de différentes disciplines (français, histoire, arts plastiques). Il faut noter que les aspects matériels jouent un rôle crucial dans la réalisation de ce type de projet : le transport des élèves était payé par le conseil général, une communication efficace avait été faite en amont auprès du corps enseignant.

En complément de ces animations très variées, les Archives proposent des services de médiation en ligne (expositions sur le site des Archives départementales de Charente, jeux pour découvrir l’héraldique sur celui des Archives de l’Aube, etc.).

Les petits lyonnais sensibilisés au patrimoine

L’intervention de Cécile Lonjon, du service éducatif des Archives municipales de Lyon, faisait apparaître davantage encore l’écart existant entre la démarche de médiation des archives et celle des bibliothèques. Ce service met en œuvre une vision très large du patrimoine, qui, à travers le programme intitulé « Le patrimoine et moi », a pour objectif de « faire comprendre aux enfants ce qui les environne : habitat, espaces, urbanisme… ». Axé sur le patrimoine de proximité et sur la découverte de son quartier, le programme propose une approche de terrain  3. Les écoles s’engagent à y participer pour trois ans. Les enseignants sont sensibilisés au patrimoine, afin de développer chez les enfants une véritable « éducation au regard ». Les séances ont lieu en alternance aux Archives et dans la ville. Étudier les plans de Lyon aux Archives permet par exemple de constater que plusieurs ponts ont disparu, ou encore de mesurer l’évolution architecturale de son quartier… Le projet débouche sur l’exposition des réalisations artistiques grâce au partenariat avec le Musée Gadagne, ou encore sur des visites de quartier conduites par les enfants.

Malgré les très intéressantes actions exposées par les bibliothèques au cours de cette journée d’étude, de telles expérimentations n’y semblent pas encore à l’ordre du jour. Plus en accord avec les missions des bibliothèques, la présentation, par Françoise Juhel, de la Bibliothèque numérique des enfants dévoilait les principes de ce nouvel outil conçu par la Bibliothèque nationale de France. Fondé sur une reconstitution numérique de l’espace bibliothèque, et construit en accord avec des éditeurs de littérature jeunesse, ce service permettra de déambuler dans des espaces complémentaires (réserve de livres rares, chambre des histoires, salle de jeux…) pour une sorte d’introduction ludique à l’univers de l’écrit  4.

L’expérience pionnière de la bibliothèque municipale de Toulouse

L’intervention de Jocelyne Deschaux, conservatrice responsable du service patrimoine écrit de la BMC de Toulouse, venait donner un aperçu éclairant de ce qu’une bibliothèque (pionnière en matière de médiation en direction des scolaires) est capable de proposer à l’heure actuelle. En 2008-2009, la bibliothèque de Toulouse a reçu pas moins de 82 classes et près de 2 400 élèves de tous niveaux, pour des séances ponctuelles préparées avec les enseignants ou pour des classes « patrimoine ». Ces animations, qui pour certaines existent depuis 2002, ont permis la constitution d’un large panel de dossiers, sur des thèmes devant toujours être retravaillés « sur-mesure » pour s’ajuster aux programmes et aux désirs de l’enseignant. Les thèmes les plus demandés sont le Moyen Âge, l’encyclopédie, les grands voyageurs. Jocelyne Deschaux intervient dans la formation des enseignants, à l’IUFM, pour présenter l’offre de la BMC : c’est un atout en matière de communication. Par ailleurs, toutes les prestations sont gratuites.

Répondant à une question sur les effets répétés de la manipulation des documents anciens, Jocelyne Deschaux a souligné le fait qu’un petit nombre de documents est suffisant pour recevoir une classe, si la séance est bien préparée avec l’enseignant (l’acquisition du vocabulaire en classe, avant la séance, est indispensable). L’importance de la mise en scène (port systématique de gants blancs qui suscite immanquablement la question des enfants, « cérémonial », visite des magasins…) est également relevée : l’objectif est aussi de permettre aux élèves d’appréhender la valeur et la spécificité du PEG, voire, pour les plus grands, d’entrevoir ce que peuvent être les métiers des bibliothèques.

Le travail engagé avec une classe de lycée professionnel (filière électrotechnique), venue travailler sur le patrimoine et… sur les systèmes de climatisation (avec l’intervention d’un technicien municipal), laisse augurer des collaborations fructueuses dans un champ pour l’instant peu exploré par les bibliothèques. La riche présentation de la BMC de Toulouse montre assurément que la construction d’un service de médiation du patrimoine est un projet à penser sur plusieurs années si l’on veut dépasser le stade de l’intervention ponctuelle de la bibliothèque dans l’univers scolaire.

Il faut retenir que le patrimoine intéresse les élèves, y compris les jeunes enfants, à condition que les bibliothécaires sachent dépasser la simple visite de la bibliothèque, travaillent fortement avec les enseignants et fassent preuve d’inventivité et d’ingéniosité pour mettre en valeur les fonds patrimoniaux qu’ils conservent.