Stupeur et tremblements

Yves Desrichard

On le sait, parmi d’autres tristes records, la France et les Français détiennent ceux de la consommation de tranquillisants, psychotropes et autres antidépresseurs. Il n’est pas sûr que la lecture du dossier de ce numéro du Bulletin des bibliothèques de France consacré aux pratiques socioculturelles des utilisateurs – et des non-utilisateurs, en majorité – de nos établissements puisse en quoi que ce soit inverser cette tendance (lourde, comme toutes les tendances).

En effet, au travers des enquêtes, des témoignages, des études, des points de vue, ici rapportés, disséqués, analysés, brocardés ou célébrés, les desseins futurs semblent plutôt sombres et amers, les espoirs ténus, fugaces, parfois candides. C’est que les usagers semblent moins nombreux, quelles que soient les manières, de plus en plus improbables, de les compter (puisqu’il ne peut être question d’autre chose que de les compter). C’est que les non-usagers semblent plus indifférents que jamais, impossibles à comprendre, à saisir, à appréhender, à séduire, à convaincre.

Mieux (pire donc), nos consommateurs, quand ils viennent, sont plus sensibles au lieu, à l’espace, à l’atmosphère, qu’aux collections, qu’aux services. Et les pratiques nationales, toutes populations confondues, mais avec des marquages plus nets encore chez les jeunes (l’avenir donc, il faut l’avouer, quoi qu’il nous en coûte), vont à la peu résistible ascension du numérique et des écrans, à la décrue plus ou moins lente de la lecture de livres, de journaux – de papier – décrue amorcée bien avant internet, mais qui laisse sur la plage abandonnée de plus en plus d’usages, de pratiques, qui étaient notre socle de certitudes.

Lecteur qui entre ici, n’abandonne pas pour autant toute espérance. Si les articles introductifs, qui brossent à grands traits les travers nationaux, pourront sembler bien désespérants, les enquêtes de terrain, diverses, contradictoires (enfin !), étonnantes, instructives, serviront de contrepoint timide mais résolu aux données nationales, largement médiatisées, parfois caricaturées, apportant des points de vue nuancés sur une pratique qui devrait chaque jour obliger à cette tempérance raisonnée, la statistique, le sondage, le pourcentage, le graphique, l’échelle, le diagramme – bref, le nombre.

Enfin, surtout, n’oublions pas la troisième loi de Newton : « Tout corps A exerçant une force sur un corps B subit une force d’intensité égale, de même direction mais de sens opposé, exercée par le corps B », qu’on peut résumer plus simplement comme suit :

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Autrement dit, laissons la parole, enthousiaste, constructive, jamais accablée, elle, à ceux et celles qui, prenant acte (et c’est leur secret) de ces révolutions, s’efforcent, comme dans toute bonne révolution, de préserver le salut public, l’avenir, pour que les bibliothèques puissent tirer profit de ces nouvelles pratiques socioculturelles.