Bibliothèques : l’art de vivre avec des livres

par François Rouyer-Gayette

Roland Beaufre

Dominique Dupuich

Paris, Chêne, 2010, 191 p., 25 cm
ISBN 978-2-81230-007-3 : 35 €

Montre-moi ta bibliothèque et je te dirai qui tu es… Tel pourrait être le sous-titre du beau livre rédigé par Dominique Dupuich, rédactrice en chef adjointe de Marie Claire Maison, et illustré par les ravissantes photographies de Roland Beaufre.

D’aucuns pourraient s’émouvoir de la présence d’un tel ouvrage dans la rubrique « Critiques » du Bulletin des bibliothèques de France mais, après tout, ce genre littéraire est intéressant à analyser car il interroge notre manière de mettre en scène nos livres comme une expression consciente de notre fétichisme.

Petits arrangements avec nos livres

Au travers de ce qui constitue des petits arrangements avec notre surmoi, notre passion avec ces satanés bouquins, Bibliothèques : l’art de vivre avec les livres évoque une intimité presque secrète, créant ainsi une confrérie invisible de bibliophiles dont aucun d’entre nous ne pourrait en fait se revendiquer. Le livre est aussi un objet, et, à ce titre, sa présence ou son absence dans un lieu relève d’une intention de communication. Comme l’art du rangement ou du dérangement, il est unique, ordonné et désordonné, bohème et fantasque, manipulatoire, acte de démonstration sociale et de pouvoir. C’est du moins ce que suggère cet ouvrage.

Une mise en scène de la représentation de soi

Les auteurs présentent un peu plus de deux cents bibliothèques privées en les classant selon huit genres qui vont de la bibliothèque du collectionneur à celle du décorateur, de l’écrivain, de l’artiste, mais aussi de l’homme de pouvoir, du créateur de mode, du designer et du journaliste. Un court texte introductif, rédigé à la manière des magazines de décoration, présente de manière primesautière la typologie de chacune de ces catégories sans élément d’analyse, comme on dresserait un inventaire à la Prévert. Mais l’idée est ailleurs, puisqu’il s’agit plus de donner à voir qu’à lire, ce qui est souvent le propre des beaux livres.

Cependant, pour éviter cet écueil, les concepteurs de l’ouvrage proposent huit « focus » sous la forme de courtes interviews déclinées selon un déroulé similaire (provenance de la bibliothèque, implantation de celle-ci, rangement des livres, perception de son ambiance, bibliothèque publique fréquentée  *, etc.). S’agissant de la rubrique « bibliothèque de l’écrivain », dont l’acception doit s’entendre dans son sens le plus large – le fait d’écrire –, Jean-Claude Carrière se plie avec bienveillance au questionnaire, répondant avec sagesse et philosophie que sa bibliothèque est un portrait de lui-même sans pour autant tout savoir de lui, ni lui d’elle. Une façon élégante, à la Jean-Claude Carrière, de répondre sans répondre…

On l’aura compris, ce livre à la bonhomie bourgeoise et au parisianisme bien intentionné ne révolutionnera pas l’approche d’une problématique qui aurait mérité un traitement plus scientifique qu’impressionniste. En même temps, ne boudons pas notre plaisir : livre d’images sur les bibliothèques personnelles comme objets de décoration, Bibliothèques : l’art de vivre avec des livres propose une jolie version éditorialisée de ces magazines de décoration qui figent le temps dans un ordre rassurant. Et c’est à ce titre qu’il peut être considéré comme un indicateur de l’état psychologique de notre société. Comme parfois les images télévisuelles nous sont nécessaires pour nous endormir, ce corpus photographique est un objet transitionnel qui nous touche car il embrasse tous les types de bibliothèques : celles que l’on adore, celles dont on rêve, celles que l’on arbore, celles que l’on fantasme, celles que l’on a eues, celles de notre voisin, celles d’un créateur vénéré et, enfin, celles qui prennent le moins de place car elles sont rangées dans un livre, et, au prix du mètre carré à Paris, cela a son importance…

  1. (retour)↑   Sont citées les bibliothèques parisiennes Jacques Doucet, Kandinsky, Arsenal, Richelieu, et la bibliothèque Saint Martin’s de Londres.