Résidences d’écrivains (1) : pour quoi faire ?
Nathalie Colleville
La Fédération interrégionale du livre et de la lecture (Fill) 1 a exploré la question des résidences d’écrivain, lors d’un après-midi d’échanges et de débats, le 29 mars, au dernier Salon du livre de Paris.
Soixante-huit résidences étaient répertoriées en France en 2008. Et ce, tous genres littéraires confondus. Mais, « qu’est-ce qu’une résidence ; pour quoi faire ; pour qui ? », interrogeait la Fill lors de deux tables rondes. La résidence est « un dispositif qui tente d’offrir un espace de travail favorable à la création par des contacts avec d’autres artistes ou bien avec un environnement particulier », rappelait Geneviève Charpentier, auteure de deux guides 2 sur le sujet. Plus complexe qu’il n’y paraît, la résidence procède souvent d’une demande sociale et politique. Facteur de lien et de valorisation pour un territoire, la résidence doit cependant demeurer cet espace-temps privilégié offert à l’écrivain.
Pouvoir échapper aux obligations matérielles
« La résidence m’a permis d’échapper à ma famille, à mes obligations quotidiennes. Se retrouver plus ou moins seul dans un endroit X avec un chat, deux poules et un ordinateur, c’est vraiment extraordinaire ! En dehors de sa propre vie, pouvoir s’enfermer dans un texte ! », témoignait Mathias Enard, à propos de son expérience à La Pensée sauvage 3 en Lorraine. Un retour qui confirme le projet tel que le responsable de la résidence, Olivier Dautrey, l’envisage : « Le maintien d’un espace de création isolé avec un horaire libre et dégagé des contingences matérielles. » Ce double témoignage illustre la nécessité pour l’auteur et le porteur de projet d’échanger très clairement, en amont, sur les attentes de l’un et de l’autre.
Car, malgré la bonne volonté de chacun, la résidence peut s’avérer un échec. « Je suis arrivé avec une idée, j’avais vraiment quelque chose à faire. Si je ne m’y suis pas tenu, cela ne tient qu’à moi. C’est parce que j’ai été moins bon que je ne le pensais. Mais cela reste indispensable pour moi d’avoir cette possibilité-là », poursuivait Mathias Enard.
Amené à candidater sept fois à des dispositifs de résidence, l’écrivain Olivier Bleys a été accueilli six fois. L’une de ses expériences les plus fortes fut en Nouvelle-Zélande, au Randell Cottage 4 à Wellington : « Je n’ai jamais aussi mal écrit mais j’ai vécu ! C’est après que j’ai écrit sur la Nouvelle-Zélande. » Olivier Bleys a évoqué ses motivations premières : « Depuis six ans, je vis de ma plume, mais comme un funambule sur la corde raide. Là, vous avez, pendant une période donnée, l’avantage de ce que peut être un revenu régulier. La deuxième motivation, c’est le statut. J’ai publié 17 ouvrages, mais je n’ai pas de statut. Dans les administrations, on continue à me demander mes bulletins de salaire ! En résidence, vous avez une adresse où l’on vous contacte. » Ce qu’a confirmé Catherine Ruggeri, secrétaire générale du Centre national du livre 5 : la résidence est pour l’écrivain une manière d’être identifié et sécurisé.
L’auteur n’est pas un animateur corvéable à merci…
La résidence permet aussi de démythifier l’écrivain en le rendant présent dans la cité. Souvent, celui-ci sera convié par la structure qui l’accueille à participer à des tables rondes, des rencontres avec le public, animer des ateliers d’écriture… Une règle tacite veut que cela soit à hauteur de 30 % tandis que les 70 % restants sont consacrés à l’écriture. « Mais 30 % de quoi, 70 % de quoi ? De mes 24 heures, soit 6 heures par jour à la bibliothèque ? De 35 heures hebdomadaires ? », interrogeait François Bon 6. Un équilibre délicat qui là encore nécessite un dialogue en amont. Car l’auteur en résidence n’est pas un animateur corvéable à merci à qui l’on peut tout demander… En Aquitaine, Écla (Écrit cinéma livre audiovisuel) accueille six à sept auteurs par an en résidence à La Prévôté 7 à Bordeaux. « Nous sommes des outils publics et il nous faut rendre des comptes sur les moyens qui nous sont alloués. L’État et les collectivités publiques nous sollicitent beaucoup sur la médiatisation et la lisibilité de l’auteur. Nous évitons cela. Il faut faire très attention à ce que l’auteur ne soit pas un animateur », résumait Patrick Volpihac, directeur d’Écla et président de la Fill. En outre, le rapport écrivain/public n’est pas nécessairement frontal. Il peut, par exemple, s’opérer a posteriori : tel écrivain dédiant son livre aux habitants de la ville où il a séjourné. L’autre erreur serait de laisser l’écrivain dans un isolement complet. Le mythe de l’écrivain solitaire est encore tenace…
La résidence dynamise un territoire
Il est vrai, également, que la résidence a le pouvoir de faire rayonner et de dynamiser un territoire, à l’instar de ce qui se passe autour de la Maison des écritures 8 à Lombez, dirigée par Paul Claudel. « La résidence est naissante dans une petite ville déséquipée culturellement. Elle devient une sorte de centre culturel très sollicité par le voisinage, pour des cours, des conférences… Mais le lieu appartient à la commune, nous ne pouvons pas refuser. L’écriture devient locomotive alors que c’est une discipline difficile à populariser. »
« Ce qui prime, c’est la clarté du contrat initial entre l’écrivain et la structure. Si ce travail est fait, une bonne partie de la résidence s’achemine », résumait Olivier Dautrey. Ce dialogue préalable doit également aborder la question de la trace. Aux organisateurs aussi d’intégrer la possibilité que l’auteur peut ne pas achever son texte, contourner la commande, ne pas écrire sur place… « On note un manque d’information sur les uns et les autres, entre les uns et les autres », résumait Thierry Grognet à l’issue de cet après-midi de réflexion. Chargé de mission sur les résidences d’écrivain au ministère de la Culture et de la Communication, ce dernier avançait quelques pistes de réflexion et préconisations : différencier résidence de création et résidence d’intervention ; mieux diffuser l’information sur les résidences ; rendre publics les appels à candidatures ; formaliser davantage les échanges préalables ; envisager la situation matérielle de l’auteur ; consulter la Maison des écrivains et de la littérature 9 ; disposer d’une charte des bons usages de la résidence…