Les pratiques culturelles des Français à l’ère numérique : enquête 2008

par Christine Détrez

Olivier Donnat

Paris, La Découverte/Ministère de la Culture et de la Communication, 2009, 280 p., 24 cm
ISBN 978-2-7071-5800-0 : 20 €

Une décennie plus tard : la culture de l’écran

Cette dernière édition de l’enquête Pratiques culturelles des Français arrive onze ans après la précédente. Cette décennie qui les sépare a connu ce qu’Olivier Donnat nomme une véritable « révolution numérique », caractérisée par la multiplicité des équipements technologiques, l’augmentation considérable de leurs performances et la baisse de leur coût : deux tiers des Français ont au moins un ordinateur (contre 22 % en 1997) et la moitié dispose d’une connexion à l’internet haut débit. Les possibilités offertes par les « nouveaux écrans » brouillent en outre les frontières habituelles entre activités culturelles ou/et de loisirs, qui supposaient qu’à un support correspondait une pratique, voire un lieu. Les nouveaux écrans, de plus en plus nomades, conjuguent textes, images et musiques, mêlent consommation, communication et production.

Nouveaux usages, nouvelle méthode d’évaluation ?

Dans un tel contexte, c’est même l’organisation traditionnelle de l’enquête Pratiques culturelles qui se trouve mise en porte-à-faux, et ce à plusieurs titres : comment conserver une valeur comparative à travers les générations – et les questionnaires – malgré un tel bouleversement ? Comment mesurer la multiplicité des usages de ces nouveaux écrans ? Une baisse de pratiques mesurées traditionnellement (lecture, pratiques amateurs, télévision…) correspond-elle à une désaffection réelle, ou à son transfert sur le support numérique ? Le défi était donc grand pour cette édition : continuer à offrir un instrument d’évaluation et de comparaison des pratiques traditionnelles, mais également innover en introduisant nombre de questions sur les usages des nouveaux écrans.

Enquête donc de l’entre-deux, tant par sa méthode que par ses résultats. Premier constat : la révolution numérique ne fait que conforter les grandes tendances repérées au fil des décennies précédentes : chaque génération arrive à l’âge adulte avec des pratiques de lecture (de presse  1 ou de livres  2) inférieures à la génération antérieure, mais écoute davantage de musique que ses aînés. Si ces évolutions sont générales, les distinctions sociales, selon le niveau de diplôme, de revenu, de genre ou de lieu d’habitation se maintiennent, opposant – à grands traits – les cadres aux ouvriers, les femmes aux hommes, et les Parisiens intra-muros au reste de la population. La logique de cumul se trouve toujours observée, qui fait qu’un intérêt pour la culture touche de façon transversale toutes ses composantes.

L’accès n’est pas l’usage

Cette logique générationnelle, conjuguée aux effets classiques de la distinction culturelle, doit cependant être nuancée : d’une part, parce que le niveau de diplôme et de revenu des seniors d’aujourd’hui est supérieur à celui de leurs parents, et que leurs pratiques sont moins centrées sur le domicile, à âge égal. D’autre part, la télévision, et surtout la radio, perdent de leurs publics, notamment chez les jeunes : 56 % des 15-24 ans écoutent quotidiennement la radio, contre 71 % en 1997, l’ensemble de la population lui consacrant moins de temps chaque jour. Surtout, les nouveaux écrans introduisent une nouvelle polarisation, entre l’écran traditionnel (la télévision) et les autres (ordinateur, jeux vidéo, etc.), remettant en cause l’opposition classique entre la partie jeune et diplômée de la population, au mode de loisirs tourné vers l’extérieur, et celle qui privilégie les activités domestiques. Cette grille de lecture des pratiques culturelles et médiatiques a perdu une grande partie de sa pertinence : si la consommation exclusive de la télévision reste inversement corrélée avec la culture de l’imprimé ou celle de la sortie, cela n’est plus vrai en revanche pour les usages des nouveaux écrans. La distinction entre hommes et femmes, en matière d’usage des nouvelles technologies, s’estompe dans les jeunes générations, au détriment du maintien de la lecture chez les femmes. Enfin, l’inégalité sociale se déporte de l’accès aux usages.

De nouvelles questions

Ces tendances laissent ainsi ouvertes de nouvelles questions : quels peuvent être les effets du renforcement de la pratique simultanée ou en alternance de plusieurs pratiques jusque-là cloisonnées, tendance que favorise la polyvalence des nouveaux écrans ? Que signifie, dans ces nouvelles configurations, lire, écrire, regarder, écouter, voir, archiver, visiter… ? Comment vont évoluer les relations entre les deux pôles actuels de la culture d’écran ? Puisque leur nature générationnelle laisse supposer que la désaffection de l’écrit et le goût pour la musique et les écrans ne peuvent que s’accentuer dans les décennies à venir, la montée de la culture de l’écran menace-t-elle, à terme, la culture de l’imprimé et celle de la sortie ?

  1. (retour)↑   11 % des Français de plus de 15 ans lisent un quotidien national, contre 13 % il y a dix ans ; 32 % un quotidien régional, contre 38 % en 1997.
  2. (retour)↑   57 % des Français ont acheté au moins un livre dans l’année, contre 63 % en 1997, et la proportion des inscrits en bibliothèque est passée de 21 % à 19 %. Les forts lecteurs ont lu en moyenne cinq livres de moins. 53 % des Français déclarent lire peu ou pas du tout de livres.