Le piazze del sapere

Biblioteche e libertà

par Livia Rapatel

Antonella Agnoli

Bari-Roma, GLF/Laterza, 2009, 172 p., 21 cm
ISBN 978-88-420-8991-9 : 18 €

Un best-seller

En novembre 2009, Laurence Santantonios saluait dans Livres Hebdo, le « succès inattendu » rencontré en Italie par l’ouvrage d’Antonella Agnoli, Le piazze del sapere, biblioteche e libertà. L’éditeur (Laterza), soulignait-elle, « a dû procéder à trois tirages successifs pour des ventes de 4 000 exemplaires, et négocie actuellement une traduction en américain 1 ». Un ouvrage sur les bibliothèques sur le point de devenir un best-seller, voilà de quoi attirer l’attention.

Son auteure, Antonella Agnoli, est actuellement consultante pour les bibliothèques, après avoir été directrice scientifique de la bibliothèque San Giovanni de Pesaro, un des fleurons du renouveau des bibliothèques italiennes. Elle collabore depuis un an au réagencement des Idea Store  2 de Londres. S’appuyant sur le succès populaire rencontré par ces établissements, elle explique pourquoi il faut absolument faire évoluer le concept de bibliothèque publique et concevoir la construction et l’aménagement de ces bâtiments sur le modèle de la piazza qui était autrefois le cœur de la cité, le principal lieu d’échange, de confrontation, de formation de l’opinion publique citoyenne.

Elle dresse le constat que les centres urbains disposent de moins en moins de lieux de convivialité, d’espaces gratuits à la disposition de tous, car les piazze, comme d’autres lieux publics, sont en voie de désertification en raison de la suppression de plus en plus fréquente du mobilier urbain, et des bancs en particulier, par des municipalités qui veulent éviter l’installation de toute persona non grata (clochard, Rom…) dans le centro storico.

Place aux bibliothèques publiques

Dans un contexte de crise de l’espace public, la bibliothèque doit être une alternative et se donner comme mission « de se transformer en lieu de rencontre, une place couverte à la disposition des adultes et des enfants, des riches et des pauvres, des tsiganes et des cardinaux, assumant à la fois la fonction de transmission des savoirs mais aussi de découverte, de pause, de cohésion sociale ». Mais alors, de quelles places faut-il s’inspirer ? Antonella Agnoli répond à cette question en se référant à l’étude réalisée pour le Project for Public Space 3 de New York, qui a sélectionné soixante places qualifiées comme les meilleurs lieux publics dans le monde. Les plus appréciées seraient celles qui sont bien délimitées, qui ne sont ni trop grandes, ni trop petites, qui offrent des endroits pour faire des pauses et donnent une sensation d’harmonie. Voilà des caractéristiques à prendre en compte lorsque l’on aménage une bibliothèque. Mais il faut également s’inspirer fortement de la grande distribution et observer attentivement les évolutions du secteur commercial ; ainsi est-il nécessaire de multiplier et diversifier les services offerts, de parvenir à surprendre le client comme le font les magasins de mode qui proposent aussi des repas diététiques ou les librairies qui organisent des brunchs ! Il faut cesser de brandir des interdictions (interdit de boire, de manger, de téléphoner…), de dresser des obstacles (demande d’autorisations, mots de passe, documents à fournir pour s’inscrire…) ; il faut veiller à la signalétique, multiplier les petites attentions, adapter et accroître les horaires d’ouverture, savoir répondre aux demandes de l’usager, le faire participer aux projets de la bibliothèque.

17 propositions pour changer les bibliothèques

L’ouvrage donne ainsi une série de conseils et cite les dix-sept points à respecter pour changer l’image des bibliothèques et réussir à en faire des endroits où l’on ait spontanément envie d’aller alors que le développement d’internet, la multiplicité des loisirs et la consommation d’une information fast-food rendent de plus en plus improbable le besoin de les fréquenter. C’est par une démarche volontariste et résolument offensive que l’on parviendra à séduire et fidéliser le public, à lui donner envie de venir dans un lieu où il se sentira bien accueilli et aura la sensation d’être comme chez lui.

Antonella Agnoli attribue aux bibliothèques une fonction quasiment salvatrice. Elle les présente comme les derniers bastions capables d’assurer l’épanouissement et la liberté créatrice de chaque citoyen dans un pays qu’elle décrit comme devenant de plus en plus ignorant et risquant de rester en marge de l’économie de la connaissance : « L’Italie […] néglige la recherche, punit les jeunes, se désintéresse de l’école : bref devient toujours plus ignorante. »

Le succès du livre semble prouver que ce fervent plaidoyer pour une bibliothèque rédemptrice a intéressé le grand public préoccupé par l’appauvrissement culturel du pays de Dante, mais réussira-t-il aussi à convaincre les responsables politiques que, pour lutter contre l’insécurité et la dégradation des villes, il est préférable d’investir l’argent du contribuable pour créer des bibliothèques, des lieux de rencontre et de convivialité plutôt que des centres de télésurveillance à la Orwell ? Speriamo !