La bataille de l’imprimé à l’ère du papier électronique

par Alan Marshall
Sous la direction d’Éric Le Ray et Jean-Paul Lafrance
Avec la collaboration de Frédéric Barbier, Patrice Mangin et Jacques Michon
Montréal, Les Presses de l’université de Montréal, 2008, 257 p., 23 cm
ISBN 978-2-7606-2123-7 : 29,95 $/27 €

La troisième révolution du livre

La bataille de l’imprimé, recueil d’articles en grande partie issus d’un colloque organisé à Montréal en 2006, sur le même thème, propose une lecture de l’avenir du livre et de la presse écrite à l’heure de la troisième révolution du livre et de l’émergence du papier électronique.

Une première partie évoque l’idée que cette troisième révolution du livre sera la dernière. Tour à tour, les contributeurs abordent la dématérialisation de la chaîne graphique (Éric Le Ray), l’état actuel et les perspectives des industries papetières (Patrice Mangin, qui connaît aussi bien la production que la recherche dans le domaine du papier), et l’évolution de « l’industrie graphique » vue à travers le prisme de la sémantique et de la néologie (France Brodeur, traductrice et journaliste spécialisée). Cette première partie est complétée par une deuxième consacrée plus spécifiquement à « La révolution du papier électronique ». Les points de vue exprimés dans ce premier ensemble de contributions, à teneur plutôt technologique, sont très variés, tout comme la qualité de leur argumentation. Certains articles sont bien documentés et raisonnés – celui, par exemple, de Patrice Mangin sur le papier, ou de Lorenzo Soccavo à propos de l’impact du papier et de l’encre électronique sur le livre ; d’autres, de nature plutôt prospective, ont parfois tendance à confondre affirmation avec démonstration. D’autres encore sont de simples présentations de nouveaux produits, que leurs promoteurs (à l’image de l’incontournable société Xerox) espèrent voir révolutionner le monde de l’écrit et connaître un grand succès commercial.

La presse écrite et le livre

La deuxième moitié du livre est consacrée à la presse écrite et au livre. La section qui traite de la presse écrite est plutôt hétérogène. Si la problématique du livre est abordée avec vigueur par plusieurs contributeurs (Jean de Bonville, qui soulève de nombreuses questions intéressantes sur la culture de l’écrit et la presse écrite, ou Jean-Paul Gagné qui propose un tour d’horizon magistral de la presse quotidienne), d’autres articles, bien qu’intéressants en soi, sont plus éloignés du sujet (celui, par exemple, de Serge Bernier sur la presse comme source pour les historiens militaires). La section consacrée au livre, en revanche, reste bien focalisée et passe en revue un grand nombre de questions concernant le livre et la lecture dans l’univers numérique (Christian Vandendorpe), les bibliothèques et la lecture publique (Jean-Paul Baillargeon).

Le graphisme d’information

Comme le rappelle Jacques Michon, le titre de cet ouvrage s’inspire de celui du colloque organisé en 1972 : « La bataille du livre ». Pourtant le titre La bataille de l’imprimé est peut-être un peu trompeur car, en fin de compte, il s’agit seulement du livre et de la presse écrite, et non pas de l’imprimé dans son ensemble. Certes, ces deux secteurs historiques de la production graphique occupent une place très importante dans l’histoire de la culture écrite en Occident : une place symboliquement (et heureusement) disproportionnée par rapport à leur importance industrielle. Mais en limitant le débat à l’impact du numérique sur le livre et la presse écrite, possède-t-on toutes les clés nécessaires pour comprendre l’évolution de la chose imprimée ? Plusieurs contributeurs (tels Guy Millière et Christian Vandendorpe) situent l’irruption de l’information comme moteur de la production graphique à une date assez récente : au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, voire au moment de l’avènement de la micro-informatique dans les années 1970. Pourtant, c’est oublier que l’ordonnancement visuel, la reproduction, la diffusion et l’archivage de l’information administrative et commerciale sont les véritables moteurs de la communication graphique, depuis la mise en place du capitalisme industriel au cours du dernier quart du XIXe siècle. Un phénomène qui est encore très peu pris en compte par les historiens de l’imprimerie et du livre. Le « graphisme d’information » est une appellation certes récente, mais il recouvre une activité ancienne qui est à l’origine, depuis un siècle et demi, de nombreuses innovations nécessaires à la représentation d’informations complexes.

L’autre grand absent du débat est le processus éditorial ou, plutôt, les processus éditoriaux, devenus de plus en plus complexes et multiformes depuis l’avènement de l’informatique dans le domaine graphique au cours des années 1960. Les modèles et processus éditoriaux spécifiques à l’édition et à la production de documents sur papier, et à la production de documents numériques, sont largement absents de la discussion. Jean-Paul Lafrance est presque le seul à évoquer cet aspect clé de l’économie de l’imprimé dans son article introductif. Plusieurs contributeurs l’abordent indirectement par le biais du contenu des journaux : les articles sur les correspondants parlementaires, la presse féministe et celle des acteurs sociaux.

Le grand soir ?

Ce qui se dégage de ce recueil d’articles est un consensus général sur le fait que l’heure des grands changements tant annoncés s’approche ; que les conditions techniques et économiques commencent enfin à converger. On sent bien les enthousiasmes et les réticences des auteurs, chacun selon son activité professionnelle, son analyse et sa sensibilité. Mais peu de contributeurs osent encore trancher clairement la question.