Paul Otlet et la bibliologie

Chantal Stanescu

Cette journée de réflexion, organisée le 25 février dernier à Mons, en Belgique, a été coordonnée par le Mundaneum  1 et l’Association internationale de bibliologie (AIB)  2: c’était l’occasion de mettre en lumière l’apport du Belge Paul Otlet (1868-1944) à cette science développée par le français Gabriel Peignot au début du XIXe siècle. Autour du Mundaneum, centre de documentation à caractère universel, se regroupent de nombreuses institutions internationales dont l’Office international de bibliographie (OIB) auquel a succédé la Fédération internationale de bibliographie (FIB). L’Office fut le creuset de la réflexion sur le traitement du livre et, d’une manière plus large, sur celui des connaissances et de l’information : c’est dans ce cadre que la bibliologie a bénéficié d’un souffle nouveau. Grâce à sa dimension internationale, il a permis de fructueux échanges croisés témoignant de la similitude des préoccupations partout dans le monde. Paul Otlet était l’âme et le centre de ce mouvement, qui a abouti notamment à la publication de son Traité du livre (1934). Par ailleurs, avec Henri La Fontaine (prix Nobel de la paix en 1913), il était un ardent pacifiste et œuvrait pour la « paix mondiale ».

Les contributions du 25 février ont mis en lumière l’une ou l’autre facette de l’immense centre qu’était le Mundaneum, en témoignant de la diversité des préoccupations de son créateur.

De la bibliographie à la bibliologie

Stéphanie Manfroid, responsable des archives du Mundaneum, rappela que, dès les années trente, le Mundaneum va errer de lieu en lieu jusqu’en 1993 où il sera accueilli à Mons. Ce qu’il en reste est peu à peu analysé et vient nourrir la connaissance que l’on peut avoir de l’importance et de l’impact des travaux de Paul Otlet. Stéphanie Manfroid nous a éclairés sur l’apport de l’expérience du Musée international sur l’organisation de collections muséales avec la volonté d’une « présentation synthétique et didactique des connaissances » dont les outils de base et de référence sont la Classification décimale universelle (CDU) et le Répertoire bibliographique universel (RBU). La même méthodologie s’appliquera aux expositions universelles ainsi que partout où la science et les connaissances s’exposent au grand public.

Mais c’est au sein de l’OIB que la réflexion s’est véritablement construite. Ainsi, Jacques Hellemans a-t-il détaillé les conférences bibliographiques internationales qui, peu à peu, établiront des normes et des méthodes qui sont les bases de la bibliothéconomie et de la bibliométrie mais aussi les fondements de la bibliologie. De manière plus large, l’idée que tous les supports d’informations soient classés par une « méthodologie commune et transversale » s’impose désormais.

Marie-France Blanquet a, quant à elle, évoqué le cercle des contemporains de Paul Otlet, engagés dans les mêmes recherches et combats. Par contre, la succession sur le long terme est plus malaisée à définir : les institutions ont pris leur envol, se sont séparées, spécialisées, jusqu’à oublier leurs liens originels. Quant aux héritiers spirituels belges de Paul Otlet, ils sont tombés dans un certain oubli.

On peut regretter que la très remarquable synthèse de Robert Estivals, fondateur de l’AIB, sur la bibliologie ait été placée en fin de journée : des précisions étaient pourtant bien utiles pour une science très discrète, notamment en Belgique, dans les formations aux différentes disciplines de l’information et de la documentation.

De l’internationalisme de Paul Otlet

La contribution de Felix Sagredo Fernandez, Jose Maria Izquierdo et Monica Izquierdo, absents pour cause de grève des aiguilleurs du ciel, fut tout de même lue par un collaborateur du Mundaneum. Elle a mis en lumière les textes fondateurs de la Société des nations (SDN), future Organisation des Nations unies (ONU), que l’on doit à Paul Otlet et Henri La Fontaine, tous deux juristes de formation et ardents défenseurs de cette paix mondiale dont la Charte de l’ONU sera le résultat final. Ce sont les avatars de l’impression de celle-ci, en 1945, qui ont été rapportés ici.

Jorge Rodrigues Ferreira a évoqué les relations de Paul Otlet avec Raúl Proença et Jaime Cortesão, de la direction de la Bibliothèque nationale du Portugal (1918 – 1926), marquant l’intérêt du Portugal pour une normalisation bibliothéconomique qui rencontre précisément les préoccupations de l’OIB.

Enfin, Sylvie Fayet-Scribe a pris le cas de La table des matières 3, pour parcourir l’histoire du traitement de la documentation en suivant le cours de son roman documentaire au titre éponyme.

Quelques regrets…

Beaucoup d’informations ont été distillées sur l’œuvre de Paul Otlet, sur ses contemporains ou ses successeurs. Mais le public s’est souvent perdu entre les différents instituts, institutions, pôles et centres d’intérêt, tous intégrés au Mundaneum. Il s’est aussi égaré au milieu des relations professionnelles de Paul Otlet avec ses contemporains. Les conférenciers avaient la pleine maîtrise de leur sujet, chacun anticipant l’intervention de l’autre. On aurait préféré un fil conducteur plus rigoureux en lien plus étroit avec la bibliologie, notamment dans son évolution récente. Comme souvent lorsque l’on évoque Paul Otlet – même sous un angle aussi précis que la bibliologie –, on peine à restreindre son discours tant l’œuvre de l’homme est immense et les facettes nombreuses. Les très enthousiastes conférenciers n’ont pas échappé à la règle : la journée a gagné en spontanéité ce qu’elle a perdu en rigueur. Les actes seront publiés par les soins de l’AIB.