Référencement et valorisation de la production pédagogique de l’enseignement supérieur
Éclairages internationaux
Livia Rapatel
L’Aura (Association des établissements utilisateurs de l’Agence bibliographique de l’enseignement supérieur) organisait le 8 décembre 2009, à Paris, une journée d’étude consacrée au référencement et à la valorisation de la production pédagogique de l’enseignement supérieur.
Dans le contexte de développement de la formation à distance et de l’enseignement tout au long de la vie, l’accroissement de la production de contenus numériques d’enseignement et de recherche pose la question des processus organisationnels liés à la gestion et à la valorisation de ce type de ressources dans les universités, et interroge sur le rôle respectif de chacun des acteurs que sont les auteurs enseignants, les professionnels de la documentation et les informaticiens. Face à ces évolutions, c’est un tour d’horizon international qui était proposé aux nombreux participants réunis à l’auditorium de la Cité de l’architecture et du patrimoine.
Les expériences américaines
La matinée fut consacrée aux projets pionniers menés par deux prestigieuses universités américaines, Stanford University et le Massachusetts Institute of Technology) (MIT). Située dans la Silicon Valley, l’université de Stanford a instauré un partenariat avec la firme à la pomme pour proposer gratuitement, depuis la rubrique iTunes U de l’iTunes Store, une plateforme de diffusion de contenus pédagogiques : cours, Open Education Resource (OER), conférences, entretiens... L’objectif est d’accroître la diffusion des connaissances produites par les professeurs et les étudiants, d’avoir une visibilité mondiale et de renforcer les liens, en particulier avec les anciens élèves. Stanford University offre trois types d’accès à ses ressources : iTunes U – Public 1, lancé en 2005, qui permet au grand public d’accéder librement à 25 000 documents, iTunes U – CourseWork, réservé aux utilisateurs après authentification, et iTunes U – Community, autorisé aux seuls membres de la communauté universitaire de Stanford. L’implication des bibliothécaires dans le programme est faible. Ils participent à la sélection des ressources mais ne contribuent pas à l’enrichissement des métadonnées descriptives, car le formulaire iTube est pauvre – le titre et le nom de l’auteur sont les seuls critères de recherche possibles. Lorsque la salle interroge l’intervenante sur les arguments utilisés pour inciter les universitaires à mettre en ligne leurs cours, celle-ci répond que le succès du service, plus d’un million de téléchargements par semaine, a suffi à convaincre les plus récalcitrants… Elle explique que la mise en ligne des cours a modifié la pédagogie universitaire, en suscitant une implication beaucoup plus active de l’apprenant : l’enseignant ne transmet plus de l’information, il la met à disposition.
Le programme OpenCourseWare (OCW) 2, lancé en 2001 par le MIT, est un projet unique par son ambition et par l’ampleur des moyens investis. Qualifié de « big bang de l’univers de la connaissance » par un de ses utilisateurs, il reflète l’engagement international que s’est fixé le MIT : « […] faire progresser l’éducation dans le monde, dans une communauté globale où le savoir et les idées sont partagés librement pour le bénéfice de tous 3. » Quelques chiffres significatifs : un investissement initial de 11 millions de dollars, un budget annuel de 3,7 millions de dollars, 1 940 cours en ligne, 17 531 notes de cours, 9 460 devoirs, des enseignements traduits dans une dizaine de langues (chinois, thaï, persan, portugais…). L’OCW couvre le programme des premier et second cycles de 33 départements, et bénéficie des contributions volontaires de 78 % du corps enseignant. Il a connu plus de 55 millions de consultations depuis son ouverture en 2003 : 42 % de ses visiteurs sont des étudiants et 43 % des autodidactes. Les bibliothèques associées au projet sont chargées de la définition et de l’élaboration des métadonnées, et de la gestion des archives. Elles ont un rôle de conseil auprès des porteurs d’OCW sur toutes les questions concernant le droit d’auteur et les droits d’accès aux ressources. Depuis 2007, le programme développe de nouveaux contenus destinés aux lycéens, notamment des cours d’introduction pour se préparer aux études universitaires.
Et en Europe ?
Après la présentation des projets à visée mondialiste des universités nord-américaines, changement d’échelle et de philosophie l’après-midi, avec deux expériences européennes : celle de Jorum, plateforme de dépôt nationale pour les ressources pédagogiques au Royaume-Uni, et le Campus Virtuel Suisse.
Avant le développement des ressources numériques et des licences Creative Commons, Jorum était conçu pour être une plateforme de stockage pour des productions et des contenus financés sur crédits publics et développés au sein des établissements de l’enseignement supérieur. Son évolution en fait l’amorce d’une bibliothèque nationale numérique de matériel éducatif. Initialement restreint aux seuls utilisateurs inscrits, Jorum offre désormais un accès ouvert à tous, via JorumOpen 4. Un programme pilote, UKOER (United Kingdom Open Education Resource), géré par le JISC (Joint Information Systems Committee), vise à encourager les universités et les établissements d’enseignement supérieur à partager leurs ressources de manière audacieuse et innovante ; les seules obligations des déposants sont l’enregistrement de la description, la localisation du contenu ainsi que le suivi de son utilisation avec Jorum.
La dernière intervention de la journée portait sur l’expérience suisse visant à promouvoir le e-learning dans une approche interinstitutionnelle, associant dix universités, deux écoles polytechniques et sept hautes écoles spécialisées. Le bilan présenté par l’un des responsables du projet fut très mitigé, soulignant les difficultés rencontrées (choix de la plateforme, équilibre du partenariat, multilinguisme helvétique, maintien des financements), exprimant un fort scepticisme sur l’intérêt pour un petit pays comme la Suisse à promouvoir l’enseignement à distance et rappelant que « le e-learning peut être durable seulement s’il devient quelque chose… “à la place de”… au lieu de “sympa d’avoir”. Les vrais bénéfices du e-learning peuvent seulement être réalisés lorsqu’il y a une re-conceptualisation du programme d’études et du processus d’enseignement et d’apprentissage ». C’est sur ce rappel des vrais enjeux de l’enseignement en ligne que s’est terminée cette journée d’étude organisée par l’Aura par un froid mardi d’hiver !