Les learning centres
Un modèle international de bibliothèque intégrée à l'enseignement et à la recherche
Suzanne Jouguelet
(Rapport n° 2009-022, décembre 2009), 58 p.
La diffusion du rapport * de Suzanne Jouguelet sur les learning centres (version anglaise) ou les learning centers (version américaine) est plus qu’heureuse, car elle permet d’obtenir, en peu de pages, un aperçu large et documenté sur un concept de « bibliothèque » qui va bien au-delà des établissements universitaires « traditionnels », proposant une approche nouvelle et intégrée, centrée autour de l’apprentissage des usagers, essentiellement étudiants, de ces services.
Formation et bibliothèque : une conception renouvelée
Le double mérite de l’étude est, d’une part de montrer que ce concept va bien au-delà des frontières anglo-saxonnes auxquelles on a tendance à le contingenter, d’autre part de s’interroger sur la possible adaptation (et non copie ou imitation) des missions de ces centres au contexte français.
La synthèse proposée en préambule permet de résumer l’originalité de ces learning centres, qui sont loin d’être un effet de mode, et qui ne se cantonnent pas à l’approche « tout-numérique » qu’on a parfois stigmatisée à leur égard. « L’intégration entre l’enseignement (teaching), l’acquisition de connaissances (learning), la documentation et la formation aux technologies (training) est… au cœur de cette notion qui renouvelle la conception de la relation entre formation et bibliothèques. »
De fait, l’originalité de l’outil tient pour une large part à ce que la scission communément admise entre les pratiques pédagogiques (dans les amphithéâtres, les salles de cours ou de travaux pratiques) et les outils documentaires (la bibliothèque et ses collections, physiques ou numériques) n’y a plus cours, créant des lieux où les missions sont « multiples et intégrées : documentaires… pédagogiques, sociales, un peu moins fréquemment culturelles ».
Des professionnels qualifiés
Sur quoi, au-delà de l’originalité de l’approche, se base le succès, indéniable, de ces learning centres ? La mise en œuvre systématique et acceptée de pratiques poussées d’évaluation est une part de cette réussite, qui permet de prendre en compte les besoins et les remarques des usagers. « Un fort investissement dans les ressources humaines qualifiées » est tout aussi indispensable, ce qui ne pourra que conforter les professionnels, même si d’aucuns seront sans doute moins amènes avec le corollaire obligé dudit investissement, « un fonctionnement tourné vers l’usager, une polyvalence des personnels et une intégration des services sur le mode “one stop shop” (guichet unique) ».
Si certains projets sont aussi de spectaculaires gestes architecturaux, d’autres, tout aussi réussis, ont été mis en œuvre sans coûts importants, le « maître mot [étant] la flexibilité qui permet par exemple d’adapter les différents espaces à la taille des groupes… une des caractéristiques des learning centres [étant] la différenciation des zones selon les modes de travail ».
La question des publics
Pour l’illustration de cette synthèse, le rapport examine plus en détail quelques projets choisis, en s’appuyant sur des rencontres avec leurs initiateurs mais aussi, plus original, sur l’avis de professionnels français, qui apportent avec eux les questionnements quant à la transposition possible ou non de tels établissements dans le contexte français.
La question des publics permet de nuancer le souci largement enthousiaste du propos en soulignant que « les learning centres [sont] particulièrement adaptés à des lieux de formations à vocation professionnelle », comme le « prouvent » les exemples de l’université de Kingston, située dans la grande banlieue de Londres, ou le Saltire Centre de la Glasgow Caledonian University.
Le rapport s’attarde sur les caractéristiques majeures de ces équipements, telles que « la polyvalence des services offerts », qui combine une large offre documentaire imprimée et électronique, des équipements informatiques nombreux, des équipements audiovisuels, des séances de formation, des services administratifs et sociaux, etc. Rien que les universités françaises n’offrent déjà, dans des acceptions plus ou moins larges il est vrai – c’est que l’essentiel n’est pas là, mais bien dans la notion de proximité et d’intégration de ces différents services.
L’amplitude horaire tant vantée (le « 7/7 24/24 ») est réelle, même si à nuancer largement : pas tous les services, pas tout le temps, pas dans tous les espaces, pas n’importe comment. Ces nuances ne sont pas à prendre comme une défiance, au contraire : elles permettent d’envisager, dans le cas d’une éventuelle transposition, des solutions réalistes, adaptées, pertinentes – réalisables ?
Les enseignants et les « autres »
Le même souci « d’apaisement » s’applique à l’analyse des moyens humains mis en œuvre, qui oscille entre deux tensions bien connues, parfois contradictoires : la nécessaire spécialisation de professionnels aux compétences de plus en plus diverses ; le besoin pour les usagers d’interlocuteurs sinon uniques, du moins en nombre limité. Deux nécessités à prendre en compte, bien sûr, avec les espaces à occuper, et l’amplitude horaire à préserver.
À ces tensions, les learning centres répondent par la mise en œuvre de guichets uniques, permettant de « réunir en un seul lieu des interlocuteurs capables d’aider l’étudiant dans différents domaines ». Mais, au-delà, la « question majeure est celle de l’implication durable des enseignants dans le processus et des formes qu’elle prend ». La résistance à résoudre est, avant tout, cette dichotomie large entre le personnel enseignant et « les autres ». Les rapprocher relève, dans l’université française, de la révolution copernicienne. Mais, après tout, celle-ci a bien fini par avoir lieu…
Elle pose en tout cas la question essentielle, sur laquelle le rapport se conclut : « Comment transposer le modèle ? ». Les quelques exemples (projets plutôt) proposés semblent timides, parfois exogènes. Surtout, mais sans doute n’était-ce pas le lieu de s’en inquiéter, le rapport évite la délicate question de la gouvernance, des universités, des organismes de recherche, impliqués dans les learning centres, pour ce qui est tant des exemples décrits que des adaptations possibles.
Or, au-delà de l’idyllisme (très anglo-saxon ?) qui veut que priorité soit donnée, à tout prix, aux usagers, et à leur réussite, on sait bien que les enjeux de pouvoir ne peuvent être négligés – quand ils ne sont pas prégnants. La question ne sera pas posée, et c’est sans doute mieux.
En effet, adopter comme volontarisme que « les learning centres devraient trouver leur équivalent en France » permet d’aborder l’intégration poussée des bibliothèques aux établissements qui, jusqu’alors, servaient surtout à les « accueillir », dans des voies neuves et exaltantes, qui permettraient de faire des professionnels comme de leurs services, pourquoi pas, l’épicentre du nécessaire tremblement universitaire, le seul propre à sortir du marasme actuel.