Diffusion-distribution : quels modèles de développement pour les éditeurs du Nord et du Pas-de-Calais ?
David-Jonathan Benrubi
Pour sa première journée d’études interprofessionnelle, le 7 décembre 2009, le naissant Centre régional du livre et des lettres du Nord-Pas-de-Calais a choisi, en partenariat avec l’Association des éditeurs du Nord et du Pas-de-Calais, de mettre à l’honneur le segment central et pivot de la chaîne du livre : « Diffusion-distribution : quels modèles de développement pour les éditeurs du Nord et du Pas-de-Calais ? ». Au terme de cette journée très instructive, reconnaissons qu’il eût été plus idoine de préciser : pour les petits éditeurs.
Rémi Amar intervint deux fois lors de la journée. Le matin, c’est comme formateur au centre de formation du Syndicat national de l’édition (Asfored) qu’il présenta un panorama de la diffusion-distribution en France. Quelques chiffres et quelques données de base posèrent utilement le cadre général. On n’y reviendra pas ici, sauf pour relayer deux points importants ; d’une part, une mise en garde en forme de problématique pour la journée : les éditeurs « qui ne se posent pas la question commerciale, la question du devenir commercial de leurs livres, risquent gros », notamment au seuil de la seconde année, celle des premiers et fatals taux de retour non contrôlés ; d’autre part, cette conviction que les « accorts Cahart » restent très sous-exploités (notamment l’utilisation des critères qualitatifs pour négocier la remise à 40 %).
Optimiser le portefeuille éditorial
Ce n’est pas comme directeur éditorial de la maison Créaphis que Pierre Gaudin intervint ensuite, mais comme ancien président de l’association In Extenso, pour proposer un regard critique et rétrospectif sur ce qui fut une expérience inédite dans le domaine de la diffusion : une association d’éditeurs (majoritairement situés dans le domaine du « beau livre »), en vue de mutualiser la diffusion des catalogues. In Extenso avait un avantage de poids : il était distribué par le Seuil, « formidable carte de visite ». Ses « chargés de diffusion » (« représentant » était tabou...) étaient salariés, ce qui devait assurer une égale importance à tous les éditeurs et à tous les livres. La cessation des activités en 2006 est expliquée par une série de causes : manque de cohérence du catalogue (absence d’effet de collection), présence d’éditeurs de tailles et de productions très inégales (certains ne faisaient que deux livres par an), petit nombre de libraires visités, faillite d’un des principaux participants…Mais, surtout, « on n’a jamais été vers une vraie mutualisation (achats de papiers, fabrication…) ; le projet coopératif était antagoniste avec les réflexes individualistes de cette profession : même pour se communiquer les programmes, c’était compliqué ! ». On comprend aussi qu’In Extenso était peut-être marqué par trop de formalités et pas assez de formalisme : trop d’assemblées générales, et encore des tabous sur le « commercial » (pas d’offices).
Ce n’est pas comme directeur éditorial de la maison Créaphis que Pierre Gaudin intervint ensuite, mais comme ancien président de l’association In Extenso, pour proposer un regard critique et rétrospectif sur ce qui fut une expérience inédite dans le domaine de la diffusion : une association d’éditeurs (majoritairement situés dans le domaine du « beau livre »), en vue de mutualiser la diffusion des catalogues. In Extenso avait un avantage de poids : il était distribué par le Seuil, « formidable carte de visite ». Ses « chargés de diffusion » (« représentant » était tabou...) étaient salariés, ce qui devait assurer une égale importance à tous les éditeurs et à tous les livres. La cessation des activités en 2006 est expliquée par une série de causes : manque de cohérence du catalogue (absence d’effet de collection), présence d’éditeurs de tailles et de productions très inégales (certains ne faisaient que deux livres par an), petit nombre de libraires visités, faillite d’un des principaux participants…Mais, surtout, « on n’a jamais été vers une vraie mutualisation (achats de papiers, fabrication…) ; le projet coopératif était antagoniste avec les réflexes individualistes de cette profession : même pour se communiquer les programmes, c’était compliqué ! ». On comprend aussi qu’In Extenso était peut-être marqué par trop de formalités et pas assez de formalisme : trop d’assemblées générales, et encore des tabous sur le « commercial » (pas d’offices).
En début d’après-midi, Benoît Vaillant, directeur de la société de diffusion Pollen, présenta une offre de diffusion adaptée à des éditeurs, petits et moyens, mais solides. L’originalité de Pollen tient moins dans la définition d’un modèle de diffusion-distribution somme toute classique, que dans une politique de restriction du portefeuille d’éditeurs, afin que chaque éditeur « ait toute l’oreille, toute l’attention qu’il requiert ». Après six ans d’exercice, Pollen tient à ne pas dépasser la cinquantaine de maisons diffusées, là où les Belles Lettres, par exemple, en ont le double. La recherche de l’optimisation du portefeuille éditorial passe par quelques critères : cohérence du catalogue (un tiers d’éditeurs jeunesse, un tiers d’éditeurs d’art, un tiers d’éditeurs de sciences humaines et sociales et littérature), non mise en concurrence des éditeurs (« trop d’albums tue l’album »), solidité minimale des éditeurs (25 000 euros de chiffre d’affaires et quatre publications annuelles), professionnalisme (notamment dans le respect des deadlines que sont les trois grandes réunions annuelles des représentants permanents). Benoît Vaillant insiste sur le fait que l’intégration de tout nouvel éditeur doit pouvoir être bien reçue par ceux qui sont déjà présents – ce qui les a amenés à refuser une grosse maison. En particulier, un éditeur « qui peut nous débloquer un gros point de vente » sera bien accueilli. En contrepartie, Pollen, qui facture à 58 % du prix public hors taxe (remise libraire comprise, bien sûr), exige l’exclusivité nationale (sans préjudice du droit de l’éditeur à vendre lui-même ses livres).
Rémi Amar, toujours très à l’aise dans le discours, revint avec un couvre-chef d’acteur, pour présenter cette fois le très intéressant Centre d’approvisionnement des libraires pour la petite édition, alias Calibre, qui regroupe 130 éditeurs. Né en 2006, à partir d’un groupe de travail du Syndicat national de l’édition (SNE) sur la petite édition, cet organisme réunit deux actionnaires : le Syndicat de la librairie française (SLF) et le SNE. Calibre organise et simplifie les relations et les flux entre, d’un côté, de très petits éditeurs, incapables d’assurer facturations et envois, et, de l’autre côté, des libraires qui, pour s’intéresser à l’édition indépendante, ne peuvent gérer plusieurs centaines de comptes d’éditeurs. Calibre ne stocke rien. C’est avant toute une adresse postale, un destinataire, un centre de facturation et un nœud de regroupement unique pour toutes les commandes des libraires (émises via Dilicom), et tous les envois des éditeurs. Un éditeur reçoit, deux fois par semaine, toutes ses commandes groupées, et un libraire, quels que soient les éditeurs concernés, tous ses livres en un seul envoi. Un libraire comme Mollat, qui gère plus de mille comptes d’éditeurs, est assuré de recevoir en un seul carton et avec une seule facture tous les livres qu’il a commandés aux 130 éditeurs diffusés par Calibre. Calibre prend en charge le recouvrement des factures : il paie l’éditeur, et est payé par le libraire en une seule opération (une seule facture par envoi au lieu d’une facture par envoi et par éditeur). Calibre diminue les coûts fixes ; ses résultats propres – 14 % de commission (dont 3 % pris en charge par les libraires, via le SLF) – sont ensuite répercutés sur une baisse de la commission de distribution. Un autre avantage en termes de saine gestion financière pour l’éditeur : pas de stock, cela signifie pas d’office, et des taux de retour qui atteignent 3 % seulement.
Une table ronde un peu décevante
S’ensuivit une table ronde qui, contrairement aux interventions précédentes mais comme la plupart des tables rondes de l’histoire humaine, fut un peu décevante. Plusieurs acteurs régionaux, souvent déjà connus de l’auditoire, se présentèrent individuellement, avant que la conversation ne tourne un peu à l’angélisme : il faut échanger, s’entraider, travailler ensemble, ce qui suggère que l’avenir de la diffusion-distribution est dans l’amour du prochain. Un moment intéressant, toutefois : l’animateur de la table ronde (Ravet-Anceau) découvre qu’il est le seul éditeur de la salle à vivre de l’édition. Signalons encore la présence de l’association L&A, bien connue des bibliothèques du Nord-Pas-de-Calais, mais pas nécessairement des lecteurs du Bulletin des bibliothèques de France, qui s’est spécialisée dans la promotion du livre indépendant et local auprès des bibliothèques publiques.
Après Pascal Allard, conseiller au livre, la directrice régionale des affaires culturelles, Véronique Chatenet-Dolto, qui hébergeait dans ses locaux la journée d’études, est intervenue en clôture pour confirmer le soutien de l’État à la constitution d’une agence régionale du livre, et plus généralement au livre. On ne peut que souscrire à l’intérêt de journées d’études interprofessionnelles (à plus forte raison pour des acteurs excentrés par rapport à la capitale régionale), et sans doute aussi s’interroger sur la rareté des bibliothécaires dans une salle pourtant bien remplie. Gageons que le véritable challenge, pour l’équipe de Léon Azatkhanian, sera de ne pas tomber dans le piège classique de varier les thèmes pour plaire à tout le monde (une journée « modèle de bibliothèque » pour les bibliothécaires...), mais de faire venir des diffuseurs à une journée sur le patrimoine écrit, des éditeurs à une journée sur l’animation multimédia…
Il reste que, à une seule réserve près (la question du livre numérique fut un peu rapidement écartée comme relevant d’un futur inconnu), sur le fond comme sur la forme, cette journée fut une véritable réussite.