Pas de Grenelle pour Valois

par Thierry Ermakoff

Claude Patriat

Paris, Carnets Nord, 2009, 352 p., 20 cm
ISBN 978-2-35536-034-3 : 17 €

Ah que cet ouvrage partait bien, sentait bon la remise à plat, comme on dit, de la politique culturelle pour mieux la refonder.

L’auteur, qui est professeur de science politique à l’université de Bourgogne, n’en est pas à son premier essai : il a publié, en 1998, La culture, un besoin d’État, chez Hachette.

D’un ministère de la Culture…

L’introduction de l’ouvrage est claire : le ministère de la Culture doit continuer à exister, il doit néanmoins repenser son périmètre et son champ d’action. À l’appui de cette thèse, les discours du président Nicolas Sarkozy sur la Culture des 13 janvier et 2 février 2009, ce dernier portant sur l’instauration du « Conseil de la création artistique ». Claude Patriat a raison de souligner l’ambivalence du Président, qui tout à la fois justifie ce ministère et crée, pour le contourner, donc le vider de son sens, un « Conseil » chargé de fournir des propositions (on a vu ce que ça a donné, les propositions du « Comité Théodule »).

Néanmoins, à partir de là, ça se gâte : en clair, ça part dans tous les sens. Nous avons fini par nous y perdre : et perdre l’auteur, aussi, par la même occasion, à tel point que nous avons failli lancer à ses trousses toutes les brigades.

Pour étayer son propos, qui est que le Ministère doit maintenant être le ministère de la Médiation culturelle, Claude Patriat décide de « … cesser de marcher à contresens et de reprendre le problème à la racine » (p. 43) ; fort bien. Mais nous n’avançons guère durant les 343 pages que compte l’ouvrage : « Un retour critique et positif […] s’impose urgemment, si on veut éviter le risque de se précipiter dans une impasse » (p. 152). Cet ouvrage est une sorte d’hagiographie d’André Malraux (bien que l’auteur s’en défende), sur sa vision capable de mettre la politique au service de la culture ; Malraux nous est donc présenté, cité, à longueur de pages (vingt fois entre les pages 195 et 216, au hasard) : André Malraux fut un grand ministre, qui a beaucoup fait pour asseoir un ministère plein avec peu de moyens ; mais tout cela a déjà été écrit, entre autres par le Comité d’histoire du ministère de la Culture ; et si Claude Patriat a raison de rappeler qu’aujourd’hui ce petit ministère a du souci à se faire, par la RGPP (Révision générale des politiques publiques) et la folie de l’évaluation qui s’empare de tout un chacun, même de ce qui n’est pas évaluable – « nous sommes passés d’une culture de l’action à une culture du résultat » (page 128) –, ce n’est pas en revenant aux grands ancêtres que nous en sortirons.

Cet ouvrage est d’autant plus décevant qu’il effleure les sujets mêmes qu’il souhaite traiter : Catherine Trautmann, par exemple, est partie parce qu’elle n’appartenait pas au milieu artistique, qu’elle n’était pas reconnue par les pairs. Mais ce qu’elle a engagé, les chartes de service public, l’effort de « culturisation », est traité en deux pages ; le Manifeste dit de Villeurbanne, rédigé en 1968 par les principaux directeurs de théâtre réunis par Roger Planchon, pas explicité, reste d’une obscurité de caverne.

Il y a des contresens : le développement de la lecture publique, jugé exemplaire sous le premier ministère Lang, ne l’est plus tant que ça. La lecture publique subit même un tassement de la fréquentation des bibliothèques, et le développement attendu n’a finalement pas été à la hauteur de toutes les ambitions, loin de chiffres exemplaires. La Lolf, loi organique relative aux lois de finances, n’est pas la Loft (p. 129).

… à un ministère de la Médiation ?

Enfin, la conclusion est pour le moins étrange : si Claude Patriat défend un ministère de la Médiation, qui n’est pas une idée saugrenue, il y ajoute le Tourisme : ministère de la Culture, de la Médiation et du Tourisme, voilà une chose bien étrange. Surtout, quand, page 101, il déplore : « Le travail actif des publicitaires, particulièrement ciblé sur la jeunesse, considérée comme plus ouverte au changement, [qui] portera d’autant mieux ses fruits qu’il s’accompagnera d’une augmentation de temps libre et du loisir. » Nous sommes bien d’accord avec cette dérive consumériste, finalement propre au tourisme (de masse).

Cet ouvrage (dont l’auteur, nous nous en doutons, a bien d’autres occupations plus importantes à faire qu’à nous lire) manque de souffle politique, de mise en perspective : il est précisément tombé dans le travers qu’il dénonce. Par ailleurs, lui font défaut des références importantes (Pierre-Michel Menger et ses travaux sur les intermittents, absents ici, Bernard Stiegler et les siens sur la place des industries culturelles) et une bibliographie.