Aller à la bibliothèque
Montreuil, édition Folies d’Encre, 19 cm
ISBN 978-2-907 337-60 : 19 €
Bibliothèques sans fin
L’association « Bibliothèques en Seine-Saint-Denis » organise chaque année, en février, le festival de création littéraire et artistique « Hors limites » dans les bibliothèques du département, en privilégiant des moments de rencontres, d’échanges et de partages. En valorisant ainsi les formes émergentes, les écritures novatrices et la pensée critique, « Hors limites » compose sous des formes atypiques (Juke-Box Ados *, etc.) un programme d’une rare exigence intellectuelle, où la forme en écho à la forme ne cède en rien à la facilité, sans être pour autant élitiste. La préoccupation est autre pour les organisateurs de la manifestation, puisqu’elle prend racine sur un territoire, qu’elle irrigue des espaces considérés comme des marges et qu’elle se préoccupe de l’homme et de son devenir.
L’édition 2 009 de cette belle et heureuse manifestation s’est intéressée au « rôle culturel essentiel des bibliothèques sur un territoire, comme lieu de ressource privilégié et vivant où peut se lire et se vivre la littérature qui s’écrit aujourd’hui, comme celle qui l’a précédée dans un héritage en permanence revisité » en proposant des regards croisés de photographes, mais aussi d’artistes numériques, de comédiens, afin de valoriser la multiplicité des figures que revêt maintenant toute forme de création, et qui peuvent trouver à la bibliothèque des espaces de création, d’exposition, de rencontre et de diffusion.
Ainsi, la bibliothèque n’est pas interrogée uniquement comme un espace gardien de la mémoire, un lieu sacralisé de la lecture, mais aussi comme un territoire ouvert, solide, dématérialisé, multiforme et multi-usage, sans frontière, un espace « Hors limites ».
Représentations de la bibliothèque
Cette tentative de « revisitation » a fait l’objet de la publication de l’ouvrage Aller à la bibliothèque publié par les éditions Folies d’encre, du même nom que la célèbre librairie montreuilloise. Le livre a été offert à tous les lecteurs des bibliothèques séquanodionysiennes. Ainsi, quinze auteurs (parmi lesquels Saphia Azzeddine, Ludovic Hary, Yannick Haenel, Serge Joncour, mais aussi Éric Meunié) se sont piqués au jeu de nous restituer leur « bibliothèque » (sans autre consigne) sous une forme brève. Cette précision est d’importance, puisqu’elle permet de comprendre les multiples chemins de traverse qui ont été empruntés, restituant tout à la fois de la bibliothèque l’espace, qu’il soit public ou privé, le fonds, sa représentation imaginaire ou réelle, l’objet matériel, mais aussi les fantasmes et les secrets qui peuvent s’y rattacher.
Au final, l’ensemble, dans sa lecture en continu, provoque une impression étrange. Celle d’un chemin à moitié parcouru car trop dense, trop touffu, trop disparate. Mais cela tient peut-être à la conception même de l’ouvrage, qui aurait mérité d’être aéré d’illustrations, de propositions artistiques numériques permettant de retrouver l’essence même de la question originelle. En enfermant la bibliothèque dans un espace contraint (un livret), qui certes ouvre à l’imaginaire, les récits ne parviennent pas à ouvrir les voies qu’ils étaient censés emprunter.
Bien sûr, chacun pourra retenir dans ce florilège un souvenir intime qui le rattache à sa première expérience émotionnelle de la bibliothèque, du livre, du récit et des bibliothécaires, mais l’ensemble reste trop disparate. S’il est une image plurielle de la bibliothèque, il ne provoque pas le plaisir qu’un tel titre pouvait nous laisser espérer : Aller à la bibliothèque. L’idée du mouvement, de l’envol, de l’emportement, de l’ailleurs s’englue dans un marais sans fond. Pour autant, l’intime, le secret, l’aventure, le corps, la rencontre de l’autre, la perte de la mémoire, les matérialités, toutes ces formes d’expériences sont présentes dans cet objet du désir. Gageons cependant que l’appropriation qui en aura été faite en Seine-Saint-Denis aura permis que s’ouvrent de beaux sentiers gorgés de mots délicieux et de destins uniques.