La médiathèque : un atout pour l’hôpital
Annie Le Saux
L’évidence contenue dans l’énoncé du thème de la demi-journée organisée par l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP), « La médiathèque : un atout pour l’hôpital », aussi manifeste qu’elle puisse paraître, n’a pas suffi à masquer l’inquiétude des participants, venus nombreux, le 8 octobre dernier, à l’hôpital Robert Debré. Un atout oui, mais à quel degré de priorité en ces temps où l’on parle de regroupements d’établissements, d’économies d’échelle et de réductions budgétaires ?
Une institution totale
C’est à travers l’analyse et les observations d’un sociologue, d’une ergothérapeute, d’une psychologue, d’une comédienne, d’un directeur d’hôpital et de bibliothécaires, que furent abordés les spécificités et les rôles des médiathèques dans les hôpitaux, lieux que les sociologues dénomment « institution totale », notion qui recouvre une entière prise en charge des individus, leur perte de liberté, de repères et d’intimité, singularités aussi bien des hôpitaux que des prisons et des internats (Christophe Evans, Bibliothèque publique d’information).
Une bibliothèque, dans un hôpital, se distingue-t-elle d’une bibliothèque publique ? Tout comme dans ces dernières, les personnels des bibliothèques d’hôpitaux doivent renouveler leur offre (livres, revues, CD, films…), faire évoluer leurs outils, offrir des animations et des actions culturelles. Ils travaillent eux aussi en partenariat, à l’intérieur et à l’extérieur de l’hôpital (Anne-Marie Farret, bibliothécaire à la médiathèque de l’hôpital Robert Debré et Lydia Lacour, directrice de la communication). Leur fragilité est cependant plus grande et c’est au quotidien que ce réseau, présent dans vingt et un groupes hospitaliers parisiens, doit défendre son existence (Claudie Guérin, coordinatrice des médiathèques et centres de documentation de l’AP-HP).
Tous les avis ont concordé pour affirmer que la bibliothèque procure, plus encore à l’hôpital qu’ailleurs, un cadre structurant, rassurant : c’est un « havre de paix ». « Le livre et la bibliothèque sont facteurs de tranquillité dans un monde fait d’intranquillité » (Christophe Evans). « Espace de sérénité dans la fourmilière que représente un établissement de santé », la bibliothèque est « un sas de décompression pour les patients et le personnel » (Odon Martin-Martinière, directeur des hôpitaux Joffre-Dupuytren et Georges Clemenceau). La neutralité du lieu permet aux patients de sortir de leur statut de personnes hospitalisées et de rencontrer des usagers comme eux et non des personnes étiquetées comme malades, médecins ou infirmiers. Ces lecteurs – patients, personnel soignant, bibliothécaires, qui vivent quotidiennement dans le huis clos de l’hôpital – ont témoigné dans un film de 14 minutes réalisé par le secteur audiovisuel de l’AP-HP de ce que leur apporte la médiathèque. Le patient y reprend contact avec le monde extérieur, y « devient acteur de son séjour à l’hôpital ». Le personnel soignant vient à la bibliothèque pour préparer des concours, prendre du recul, s’évader du quotidien, mais aussi pour établir une autre communication avec le patient, entrer en contact avec lui par un autre biais.
Lecture à l’hôpital
La lecture, « la plus diversifiée des pratiques culturelles », selon les mots de Jean-Claude Passeron cités par Christophe Evans, est polymorphe. Aux fonctions ludiques, didactiques, esthétiques, salutaires et, pourquoi pas, soporifiques, qui s’observent également dans la lecture à l’hôpital, il faut ajouter une fonction thérapeutique, que ce soit auprès des enfants, comme l’a vérifié Odile Perrusson, psychologue à l’hôpital Robert Debré, qui a suivi, de chambre en chambre, le parcours du chariot de livres, « petite bibliothèque ambulante », ou auprès de personnes marginalisées par une maladie psychiatrique, chez lesquelles Céline Courcier, ergothérapeute à l’hôpital Saint-Antoine, a remarqué la vertu créative du livre. Autre profession, même conclusion : Juliette Heymann, comédienne lectrice à voix haute dans les hôpitaux, confirme que les mots peuvent aider et soulager, que « les mots sont action ».
La lecture, par l’« activité à la fois de coupure et de suture » que lui reconnaît Christophe Evans, fait « ressortir le sens dans des univers fermés et totalitaires » (propos cités d’Abdelmalek Sayad). Elle aide à maintenir les capacités cognitives du patient, a ajouté Odon Martin-Martinière.
Le photographe Éric Garaut a saisi des instants de lecture dans les chambres, salles d’attente, médiathèques et l’exposition « Lire à l’hôpital : les médiathèques de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris » résume et suggère, à travers la lecture, une autre approche de l’hôpital *.
Cette « association insolite formée par l’hôpital, la lecture et la bibliothèque » (Christophe Evans) est, on l’aura compris, une passerelle nécessaire entre un lieu de soins et la vie extérieure. Présente dans le public, Michèle Petit (anthropologue) a légitimé la présence de livres à l’hôpital, comme dans toute « institution totale » mais pas seulement, par cette affirmation : « Plus le contexte est difficile et plus il est vital d’offrir de la lecture. »
Une conviction partagée par les participants, dont ne faisaient malheureusement pas partie tous ceux dont dépend l’avenir de ces structures culturelles, à savoir les décideurs. Et pourtant, à qui mieux qu’à eux ce message pourrait-il s’adresser ?