Le journal d’un lecteur : le Poitou-Charentes et l’Aquitaine à bicyclette
Jean-Pierre Brèthes
ISBN 978-2-8456-1507-6 : 16 €
Depuis Pierre Giffard, auteur en 1890 de La reine bicyclette (désignée depuis lors comme la « petite reine »), jusqu’à Éric Fottorino, qui relate son expérience de la compétition à la faveur d’un Petit éloge de la bicyclette (2007), en passant par René Fallet (Le vélo, 1973), Antoine Blondin (Le Tour de France en quatre et vingt jours, 1984), Louis Nucéra (Mes rayons de soleil, 1987) ou encore, plus récemment, Paul Fournel (Besoin de vélo, 2001), la littérature regorge de morceaux d’anthologie de nature à réconcilier grimpeurs et lecteurs avec un sport que de coupables pratiques d’apprentis-sorciers sont venues ternir.
À côté de ces titres et de quelques autres encore, les amateurs pourront ranger à présent les belles pages, originales dans leur inspiration non moins que généreuses dans leur visée, écrites par un bibliothécaire sportif qui en « connaît un rayon ». Sous la forme de notes prises au jour le jour, Jean-Pierre Brèthes fait part, avec autant de finesse que de ferveur communicative, de son expérience de « cyclo-lecteur » à travers le Poitou-Charentes et l’Aquitaine de son enfance, dans l’attente d’un tour de France complet, conciliant déplacements à bicyclette et lectures publiques de textes extraits d’une « bibliothèque idéale » certes personnelle, mais à coup sûr non égoïste.
Parvenu au terme de sa carrière, Jean-Pierre Brèthes a en effet conçu le projet de concilier des activités en apparence aussi hétérogènes que la bicyclette et la lecture, auxquelles il consacre ses loisirs avec la même passion. Le jeune retraité a ainsi imaginé une série d’animations thématiques sous la forme de lectures proposées bénévolement dans les bibliothèques, centres communaux et autres espaces publics. Ces établissements, foyers d’une culture vivante en milieu rural, jalonnent un itinéraire effectué, pour l’essentiel, sous le soleil comme par temps de pluie, en enfourchant Rossinante, la fidèle monture métallique du « lecteur public », ce dernier se réservant toutefois le droit d’emprunter aussi le chemin de fer, pour les plus longues distances ou pour le retour du chevalier au foyer.
Dans les sacoches du « cyclo-lecteur »
Une telle expérience, où les cordes vocales ne sont pas moins sollicitées que les mollets, ne pouvait souffrir l’improvisation. À la préparation physique, menée à force d’entraînement sur les routes du Poitou et de séances de musculation mâtinées de gymnastique chinoise, soutenues enfin par un strict régime alimentaire qu’un Blondin toujours assoiffé eût certes désapprouvé, se sont jointes une activité habituelle de lecteur à la maison d’arrêt de Poitiers, la pratique du théâtre en amateur, ainsi que celle du chant choral. Au fil du temps, de plus, les textes ont été engrangés, accumulés dans les sacoches du « cyclo-lecteur », judicieusement choisis et ordonnés en quelques thématiques consensuelles (enfances, nourritures, joies et peines, pérégrination…), dans lesquelles il suffit de puiser à chaque point entouré sur la carte routière.
Récits et nouvelles alternent avec poèmes ou contes, et les monuments du patrimoine littéraire national côtoient des textes dus à la plume d’auteurs peu connus provenant d’horizons littéraires tantôt familiers, tantôt lointains. Bref, des œuvres classiques ou, le plus souvent, des écrits rares que Jean-Pierre Brèthes a su dénicher dans les librairies, chez les bouquinistes, ainsi que dans les magasins nourriciers de « ses » bibliothèques.
Au fil de courts chapitres, rythmés comme autant d’étapes d’une boucle qui, bientôt, deviendra grande, le cycliste amoureux de la langue relate non sans humour les péripéties de son parcours à deux-roues, ne manquant jamais une occasion de vanter les bienfaits du mode de locomotion qu’il affectionne entre tous et, par symétrie, de vouer aux gémonies camions obèses et automobiles malodorantes. Soucieux d’éviter la dangereuse et inégale confrontation avec les bolides, Jean-Pierre Brèthes emprunte de préférence les petites routes de campagne, moins fréquentées et qui, au prix de quelques kilomètres supplémentaires, offrent tranquillité, air pur et plaisir de la découverte.
En découvrant Le journal d’un lecteur, on retrouve le ton et parfois l’érudition souriante d’un Jacques Lacarrière, autre adepte de la lenteur revendiquée qui, pour sa part, avait traversé la France à pied. Ainsi, telle église de village nous vaut un développement sur la statuaire romane, un vieux cimetière protestant invite à une réflexion sur l’actualité des valeurs de la Réforme, dans laquelle l’auteur a grandi, tandis que les fleurs des champs font naître quelque méditation botanique évoquant Rousseau ; enfin, les clôtures qui délimitent et entendent protéger les propriétés de toute intrusion appellent le souvenir et le regret de temps plus hospitaliers.
L’essentiel, toutefois, réside dans les rencontres que le voyage a permises. À chacune de ses étapes, le « cyclo-lecteur » est accueilli, ici par un couple d’usagers de la bibliothèque, là dans une chambre d’hôte, ailleurs encore par un ami retrouvé, quand ce n’est pas un membre de sa famille gersoise qui le reçoit. Le public, lui aussi, quelques dizaines de personnes tout au plus, soir après soir, récompense le lecteur itinérant par l’attention qu’il prête à l’invité et parfois en prenant une part active à l’animation.
Ayant entamé son tour de France à une période difficile, marquée par la maladie de son épouse, Jean-Pierre Brèthes a expérimenté les bienfaits physiques et psychiques de la bicyclette. On connaissait la « biblio-thérapie », à laquelle Marc-Alain Ouaknin * a consacré un ouvrage stimulant ; voici, par l’exemple, la « vélo-thérapie ».