Le livre et la lecture dans l’action internationale des collectivités territoriales

Journée nationale de la coopération décentralisée

Dominique Cartellier

Odile Nguyen

Les opérations autour du livre et de la lecture sont particulièrement nombreuses dans l’action internationale des collectivités territoriales. La Commission nationale de la coopération décentralisée (CNCD) au sein du ministère des Affaires étrangères et européennes (MAEE) a souhaité organiser une journée de débats sur les pratiques et les articulations possibles entre les projets et les cadres d’action des uns et des autres. Cette journée a eu lieu à Grenoble le 29 juin dernier. Elle a rassemblé des acteurs engagés à l’international dans des actions de partenariat autour de l’écrit et de la lecture (élus, représentants du monde associatif, des milieux du livre…)  *.

La place de la culture a été au centre des propos introductifs, soulignant qu’elle a été un des piliers fondateurs de la coopération décentralisée (J.-M. Detroyat, Ville de Grenoble) et que les politiques culturelles ont un rôle à jouer pour le maintien des identités et de la diversité (J.-P. Bayon, Région Rhône-Alpes). La culture est un point d’appui pour le développement, et il faut d’autant plus le réaffirmer que le poids de l’économie s’accroît dans la coopération internationale. C’est aussi une coopération très politique, a expliqué A. Joly (CNCD).

Coopération bilatérale : le soutien de Culturesfrance et du Centre national du livre au livre français à l’étranger

Si un rappel du cadre institutionnel de la coopération bilatérale et multilatérale était sans doute nécessaire, il a difficilement évité l’écueil du catalogue de dispositifs. S. Dovert (MAEE) a d’abord situé les principales actions de ce ministère dans le foisonnement d’institutions publiques qui interviennent. Relayé par le réseau de coopération et d’action culturelle à l’étranger (quelque 178 ambassades, 250 alliances françaises subventionnées, 15 bureaux du livre et 200 médiathèques), le pôle de l’écrit et des industries culturelles au sein de la direction de la politique culturelle est chargé des missions concernant le rayonnement du livre français à l’étranger et définit les programmes d’actions avec l’opérateur Culturesfrance, qui joue un rôle d’animateur en lien étroit avec le ministère de la Culture et de la Communication et les organismes professionnels du livre.

Qu’a-t-on envie de promouvoir, de valoriser à l’étranger ? Quelles sont les demandes des éditeurs français et comment les aider à se repérer sur les marchés extérieurs ? Ces questions sont aujourd’hui tributaires de la réflexion sur les enjeux du numérique liés notamment à la question de la défense des droits d’auteur et des possibilités offertes par les NTIC pour la promotion des écrits.

Culturesfrance, dont les missions ont été étendues en janvier 2009, a maintenant en charge le programme d’aides à la publication (extraduction), parallèlement à ceux gérés directement par les postes diplomatiques (près de 1 000 ouvrages bénéficiaires, dont 250 pris en charge directement par Culturesfrance). Complémentaire à ce programme destiné aux éditeurs étrangers souhaitant publier des auteurs francophones, le plan Traduire cherche à former un réseau de traducteurs professionnels du français vers les langues étrangères.

Par ailleurs, Culturesfrance soutient financièrement des résidences d’auteurs francophones à l’étranger (programme Stendhal), ainsi que des manifestations culturelles (« Saisons » Culturesfrance) et organise des opérations de promotion et une présence sur les salons internationaux. Enfin, il intervient en apportant un appui en documents, conseils et matériel aux médiathèques et établissements culturels français à l’étranger et édite plusieurs revues (dont Cultures Sud/Notre Librairie) diffusées via le réseau culturel français à l’étranger. Reste que si la France est le 3e pays européen exportateur de produits culturels derrière le Royaume-Uni et l’Allemagne comme l’a rappelé P. de Sinety (Culturesfrance), la domination des pays anglo-saxons est de plus en plus forte et le fossé se creuse entre l’anglais et le français.

Autre acteur, enfin, le Centre national du livre (CNL) qui a, parmi ses missions, l’appui au rayonnement du livre français à l’étranger, ainsi que l’a mentionné D. Adrian du Bureau international du CNL. Il met en œuvre différents dispositifs, par exemple en direction des librairies à l’étranger, pour constituer des fonds en partenariat avec la Centrale de l’édition, de l’extraduction et des traducteurs et avec Culturesfrance, ou encore pour favoriser la présence des éditeurs dans les foires et les salons internationaux avec l’appui du Bureau international de l’édition française (BIEF).

Coopération multilatérale et coopération décentralisée : l’exemple du Brésil

L’Unesco s’efforce d’être en convergence avec les collectivités locales, mais ne s’adresse pas spécifiquement à celles-ci. M. Rosi, qui représentait cette institution, a rappelé l’approche qui prévaut pour le livre et la lecture – faire adopter des lois conformes au principe de diversité culturelle et permettre le dialogue et la circulation des idées. Sur un plan opérationnel, les initiatives originales et les partenariats pour développer l’industrie du livre sont promus, et des soutiens sont apportés aux pays par la mise en œuvre d’expertises, des appuis techniques et financiers à des actions de formation, des manifestations comme des festivals, des salons. Une partie essentielle de l’activité de l’Unesco pour le livre et la lecture réside également dans la promotion des politiques publiques.

Rompant avec le caractère finalement très institutionnel de cette demi-journée et quelque peu en décalage avec les objectifs annoncés, l’intervention de Rafaela Vicensini Jaccoud, ex-coordinatrice chargée de l’économie du livre au ministère brésilien de la Culture, a tracé quelques pistes de réflexion reprises l’après midi, tout en dressant un panorama fort intéressant de la situation du livre dans son pays. Certes, le chiffre d’affaires du marché éditorial brésilien augmente et la production s’accroît, grâce notamment au développement de la scolarité, à l’augmentation des revenus, à des actions de diffusion et de promotion du livre. Mais des distorsions très importantes existent. La concentration du secteur s’accélère. Le taux de lecture reste faible, conséquence d’un taux élevé d’analphabétisme, de la concurrence des autres médias et du prix élevé des ouvrages.

Le gouvernement Lula a officiellement reconnu la culture comme facteur de développement social et élément de renforcement de la citoyenneté et lui a attribué un budget exceptionnel pour la période 2007-2010 (programme « Mais Cultura » ce qui signifie « plus de culture »). En ce qui concerne le livre, pour lequel il existe une loi depuis 2003, priorité a été donnée à la création de bibliothèques dans les municipalités n’en disposant pas encore et à la modernisation des bibliothèques publiques, en partenariat avec les collectivités territoriales. Une nouvelle organisation administrative, à partir de juillet 2009, décentralisant au niveau des États les actions de promotion du livre et de la lecture, devrait instaurer une nouvelle dynamique.

Une grande variété d’actions menées

Animée par Emmanuel Cuffini, conservateur à la BPI et adjoint au maire de Montreuil, l’après-midi a été consacrée à la présentation de diverses expériences de coopération.

Plusieurs intervenants ont mis en avant l’ancienneté de l’expérience des associations dans les actions internationales. L’évolution la plus marquante des dix dernières années est le renforcement de l’action des collectivités territoriales, qui vont désormais au-delà du simple soutien aux associations et mènent de plus en plus une véritable politique publique de coopération. On peut également noter la forte professionnalisation des actions mises en place.

Parmi les nombreuses interventions, Françoise Danset a relaté la collaboration de son association avec la région Paca pour diverses actions au Liban, et Dédéou Traoré, conseiller régional de l’Assemblée régionale de Tombouctou (Mali) a fait part du fructueux travail conjoint avec la région Rhône-Alpes, afin de mettre en place une cellule régionale pour le développement de la lecture, qui s’adresse aux élus et administrations locales.

Parmi les autres actions qui ont été présentées, on peut mettre en avant : la Roumanie, avec Nathalie Mansuy-Todeschini pour la médiathèque départementale de Seine-et-Marne et le Sénégal, où l’association Lire, présidée par Éliane Lallement, a pu s’appuyer sur la Région Île-de-France représentée par Arnaud Hure, chargé de mission à la Direction des affaires internationales de la Région. Tous deux ont d’ailleurs insisté sur l’intérêt pour les collectivités de s’appuyer sur une association connaissant bien les problématiques locales, et la force de l’appui institutionnel d’une collectivité pour une association.

La variété des actions de coopération autour du livre et de la lecture peut s’envisager par le biais de la formation, comme l’a présenté Viviana Quiñones, de la Joie par les Livres/BnF ; elle peut également prendre la forme de soutiens à l’édition locale. Ainsi, Laurence Hugues, de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants, soutient l’idée d’une nécessaire émergence d’éditeurs du Sud, tandis que Danièle Ribier, responsable des éditions du GRET, souligne le manque d’offre locale de livres techniques et la difficulté à diffuser ce qui existe. Les technologies de l’information et de la communication pourront peut-être aider au développement de ce type d’édition dans ces pays. Enfin, l’appui en documents par le biais de dons de livres a été évoqué par Isabelle Le Camus (association Adiflor) et Dominique Pace (association Biblionef).

Se dégage de cette après-midi le sentiment d’une immense variété d’actions, avec cependant deux difficultés pour les associations, ainsi que l’a souligné Emmanuel Cuffini en conclusion : la question du difficile et coûteux acheminement des dons de livres, et le problème majeur du développement de l’édition locale.

http://www.culture-developpement.asso.fr

  1. (retour)↑   Cette journée, coorganisée par la Commission nationale de la coopération décentralisée et l’association Culture et Développement a bénéficié du partenariat technique de l’Observatoire des politiques culturelles. Elle aboutira notamment à la finalisation du Vademecum. Le livre et la lecture dans l’action internationale des collectivités territoriales.