La loi relative aux libertés et responsabilités des universités
Point de vue de l’ADBU
Poser la question de la pertinence politique de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, dite loi LRU *, à une association comme l’Association des directeurs et des personnels de direction des bibliothèques universitaires et de la documentation (ADBU) revient à lui demander quelle est sa nature propre : dans quel champ se situe l’association ?
Indépendamment de l’adhésion ou de la non-adhésion personnelle de ses membres au principe de cette réforme, l’ADBU doit travailler au développement de la documentation universitaire à partir d’une réalité juridique donnée, en cherchant à resituer la question des bibliothèques au cœur du débat, en alertant sur les risques possibles liés au nouveau paysage, en étant force de propositions.
La loi LRU est, on le sait, l’aboutissement d’une longue réflexion, trop longue. D’une part, un État, malheureusement porteur de peu de dynamique sociale et intellectuelle, affublé de qualificatifs peu amènes par des gouvernants qui, eux-mêmes, l’associaient à l’image d’un pachyderme des temps anciens ; de l’autre, des universités à qui on pouvait certes reprocher leurs propres scléroses, mais qui avaient besoin d’acquérir plus de maturité, plus de visibilité, plus de responsabilité dans le champ social.
Il était grand temps de clarifier la situation et de donner à l’institution universitaire les outils que l’État n’avait hélas plus la force de soulever. Cela allait vers plus d’autonomie en matière de pilotage administratif, de stratégie pour la recherche et la formation, de gestion des finances et des emplois.
Les universités sont donc appelées à vivre ce qu’ont connu les collectivités territoriales dans les années 1980 avec la décentralisation. Le défléchage des crédits et leur globalisation étant inhérents au processus, il s’agit désormais, pour les professionnels, de travailler encore davantage au quotidien à convaincre, mais sur la base de deux certitudes contradictoires :
- la documentation est structurante et le service commun qui la porte constitue un bon outil politique pour un président quelque peu visionnaire ;
- le secteur de la documentation est plutôt calme, attire peu les projecteurs, donne rarement lieu à des surenchères médiatiques, engendre une certaine complexité peu propice à des discours pédagogiques et démagogiques.
Pour le meilleur et pour le pire, la documentation est montée dans le bateau battant pavillon LRU, l’ADBU désirant agir dans le contexte de la nouvelle autonomie universitaire. Bien plus clairement qu’auparavant, les présidents d’université se trouvent en position d’élaborer une politique et une stratégie en y intégrant la question documentaire : la loi LRU les met devant leurs responsabilités propres et c’est une excellente chose. C’est bien avec la Conférence des présidents d’université (CPU) que l’ADBU pourra le mieux défendre la cause. De façon résolue et positive. Mais sans être dupe, car des signaux d’alerte existent. Nous pouvons en identifier ici quatre importants :
• Il n’y a pas de bonne autonomie sans bonne évaluation. Or l’évaluation telle qu’elle est pratiquée actuellement par l’Agence d’évaluation pour la recherche et l’enseignement supérieur (AERES) est très contestable, en particulier examinée sous l’angle documentaire. En la matière, ses rapports sont en effet souvent incomplets, voire indigents (cf. la récente évaluation de l’université Paris-5). L’ADBU martèle pour sa part que la politique documentaire des universités et son évaluation doivent mettre l’accent sur trois éléments : l’apport de la documentation à la recherche, à l’enseignement et la formation, à la vie étudiante. De façon égale.
• Certes, la décentralisation dont ont bénéficié les collectivités territoriales a eu pour conséquence un fort développement des bibliothèques publiques à partir des années 1980. On peut donc espérer que les mêmes causes produiront les mêmes effets. Il y a cependant une différence et elle est de taille : les universités ne lèvent pas l’impôt, ne fixant pas librement les droits d’inscription perçus auprès des étudiants. Malgré les annonces ministérielles sur la hausse des moyens accordés à l’enseignement supérieur, moyens au sein desquels le transfert de la gestion des personnels entre pour une part importante, les présidents d’université vont devoir rendre des arbitrages difficiles au sein de leur établissement. Et il est vrai que le fléchage des crédits a pu donner l’impression que la documentation était surprotégée par l’État, et même, à certains, que le défléchage constituerait une occasion de rééquilibrage. Lourde erreur de jugement : crédits et personnels sont en France en deçà du niveau de l’Europe ou de l’Amérique du Nord et la LRU a pour objectif premier d’améliorer la compétitivité internationale des universités françaises.
• Travailler dans le cadre de l’autonomie des universités ne signifie pas que rien ne soit plus attendu de l’État. S’il est vrai qu’à l’issue de la refonte du ministère, l’ADBU a salué le fait que la question documentaire était positionnée à égale distance entre recherche et enseignement supérieur, force est de constater que les signaux d’un affaiblissement excessif de l’administration centrale sont vite passés au rouge et que le discours ministériel devient désarticulé et inopérant. Devant le passif colossal portant sur les collections rétrospectives en documentation électronique, passif qui ne rend que plus nécessaire la mise en place des licences nationales, les établissements attendent une position constructive et nationale de la part de l’État et non un évitement qui renvoie le problème aux budgets locaux. Ils attendent aussi la confirmation de la poursuite par le ministère de ses missions régaliennes, comme le développement de l’outil statistique : autrement, comment pourrait-on prendre au sérieux le discours officiel sur l’évaluation ?
• La documentation est portée par un métier dont la place au sein de l’université doit être pleinement reconnue. Faire indirectement peser des soupçons à son égard (légitimité, intégrité de la filière, régime indemnitaire, positionnement hiérarchique…) ne ferait que nuire à sa mobilisation et à sa créativité, ne ferait donc que nuire à l’efficacité du système documentaire. Cela irait d’ailleurs à l’encontre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) : toutes les administrations de l’État abritent des services documentaires. Dans ce cadre, l’existence d’une filière interministérielle dédiée est plus que légitime, elle est indispensable. Là aussi, on attend un autre discours de la part de l’État, plutôt que des annonces sur le caractère différé de certaines mesures (itarfisation, rôle des commissions administratives paritaires nationales…) dont nous ne voulons pas, pas plus ici et maintenant qu’ailleurs et demain.
Pour autant, ce qu’on peut retenir de la loi LRU à titre provisoire, c’est qu’elle renforce l’identité collective autour d’un projet intellectuel et scientifique et que participer à une telle dynamique est porteur de sens au plan social et humain. La loi institue de fait au sein de l’université un nouveau jeu démocratique. Ainsi la relation avec les étudiants – la majeure partie du lectorat – évolue et la documentation a tout à gagner à se manifester au sein des débats internes pour que lui soit reconnue toute son importance pour la compétitivité internationale de la formation et de la recherche.