La vraie révolution

Vue de la bibliothèque universitaire de l’université de La Rochelle

Olivier Caudron

Vue de la bibliothèque universitaire de La Rochelle, la « vraie révolution » en matière de documentation n’est pas tant liée aux évolutions budgétaires, ou à celles liées à la gestion des personnels de bibliothèques, mais bien à l’irruption du numérique dans les pratiques des étudiants, qui bouleverse les questionnements liés à l’offre documentaire, aux fonctions, aux métiers et qualifications au sein de la bibliothèque, obligeant à penser sur le même plan services et collections.

As seen from the La Rochelle university library, the “real revolution” in information resources is not due to changes in budgeting practices or personnel management, but the way students are now thoroughly accustomed to using digital resources. This has major implications for the information resources on offer and the role, training, and qualification of librarians. Both library services and collections must adapt.

Von der Universitätsbibliothek La Rochelle aus betrachtet, steht die „wahre Revolution“, was die Dokumentation betrifft, nicht so sehr mit haushaltspolitischen Weiterentwicklungen oder mit jenen, die in Verbindung mit der Personalwirtschaft der Bibliotheken stehen, in Zusammenhang, sondern vielmehr mit dem plötzlichen digitalen Einzug in die Gewohnheiten der Studenten, welcher die Fragestellungen in Zusammenhang mit dem Medienangebot, den Tätigkeiten, den Aufgabengebieten und Qualifikationen innerhalb der Bibliothek völlig verändert und dazu verpflichtet, über Dienste und Bestände auf gleicher Ebene nachzudenken.

Vista desde la bibloteca universitaria de la Rochelle, la “verdadera revolución” en materia de documentación no está tanto ligada a las evoluciones presupuestales, o a aquellas ligadas a la gestión del personal de bibliotecas, pero por supuesto a la irrupción de lo digital en las prácticas de los estudiantes, que trastorna los cuestionamientos ligados a la oferta documental, a las funciones, a los oficios y calificaciones en el seno de la biblioteca, obligando a pensar en el mismo plano servicios y colecciones.

Eh bien non, en l’an I de l’autonomie de l’université de La Rochelle, et en ce début d’automne 2009, la réforme institutionnelle n’a pas encore eu de véritable impact sur la bibliothèque universitaire (BU). La lame de fond des responsabilités et compétences élargies (RCE) devient simple vague au voisinage de la BU.

Une simple vague ?

Il est vrai que les priorités de l’établissement nouvellement promu étaient ailleurs, dans le perfectionnement de la procédure financière et comptable, la gestion d’une masse salariale qui triple le montant du budget de l’université, la réalisation de la paye, le pilotage renforcé des ressources humaines, la sécurisation accrue du système d’information, la mise en place d’une fondation…

Il est vrai aussi que des événements récurrents et importants de la vie de l’établissement auxquels le nouveau statut donne une signification particulière, la préparation du budget 2010 et la campagne d’emplois, sont à venir (sont imminents). Peut-être la simple vague deviendra-t-elle bientôt houle, mais, en tout cas, aucun signe avant-coureur de tsunami n’est actuellement sensible. La bonne perception de la bibliothèque par et dans l’université, sa bonne intégration, devraient la préserver de toute mésaventure, tout comme la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) d’août 2007 n’a entraîné aucune remise en cause de la place du directeur de la BU, invité dans les trois conseils statutaires.

Tout au plus peut-on signaler la fin, au 1er janvier 2009, du mandatement des factures par le service administratif et financier de la BU et la disparition (qui était programmée) des fonds de roulement par service ou composante de l’université. Question moyens – et l’on sait la crainte préalable que pouvait susciter à travers le pays le « défléchage » des crédits jusque-là affectés à la documentation –, le montant de la dotation globale de fonctionnement (DGF) de l’année 2008 a été reproduit à l’identique en 2009 ; le contrat quadriennal 2008-2011 comprend un volet documentaire et donc une ligne de financement dédiée. Pour ce qui est des « droits de bibliothèque » versés par les étudiants non boursiers dans le paquet des droits d’inscription à l’université, la question, semble-t-il, demeure de savoir si le décret instituant annuellement un montant-plancher continue de s’imposer aux établissements devenus autonomes.

Même si le budget de la BU était reconnu comme traditionnellement sincère, les prévisions de recettes étant généralement proches de la réalité et les dépenses s’accordant aux recettes, il sera d’autant plus nécessaire désormais d’expliquer, au cours du dialogue de gestion, la spécificité de la constitution de collections. Il semble en effet possible d’affirmer qu’à la différence peut-être d’autres services de l’université, le service commun de documentation (SCD) est toujours en mesure, jusqu’à la date limite de passation des bons de commande, d’utiliser à bon escient ses crédits, y compris des recettes nouvelles intégrées en seconde décision budgétaire modificative (DBM2), ne serait-ce qu’en achetant des exemplaires supplémentaires de manuels, etc. Une bombe budgétaire à retardement pourrait par ailleurs éclater si l’application du principe de rattachement des charges à l’exercice devait se généraliser et menacer le mode actuel de paiement des abonnements, mode cependant balisé par le cahier des charges du marché de fourniture des périodiques. Mais nous sommes davantage ici dans les conséquences de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) que dans celles de la LRU.

Sans doute aussi faudra-t-il mettre sur la table les taux de progression annuelle du coût de la documentation électronique, qui n’ont rien à voir avec l’évolution de l’inflation. Mais évoquer les moyens, c’est aussi poser la question de la définition d’une politique documentaire au niveau de l’établissement, au-delà des réflexions menées au sein de la seule BU, et de la traduction financière de cette politique.

Parmi la dizaine de commissions mises en place par le nouveau président et son équipe, élus au printemps 2008 en application de la loi LRU, une nouvelle commission, dédiée à la politique documentaire et présidée par le vice-président du conseil d’administration, est chargée, en amont du conseil de la documentation, de réfléchir à la définition d’une politique d’acquisitions ; ce qui, même à l’échelle d’une université de la taille de celle de La Rochelle, n’est déjà pas simple, compte tenu de la diversité des approches selon les communautés disciplinaires, voire aussi au sein même de ces communautés. Mais cette commission qui, à la différence du conseil de la documentation, inclut aussi les représentants des laboratoires, est d’abord le lieu où rappeler que la documentation ne ressortit pas uniquement à la vie étudiante, mais se trouve au cœur des activités d’enseignement et de recherche. La bibliothèque universitaire est très désireuse de voir progresser cette réflexion, puisque aussi bien l’article premier de ses statuts de service commun lui donne pour mission de « mettre en œuvre la politique documentaire de l’établissement ».

Pour ce qui est maintenant de la gestion des personnels de bibliothèques, la BU d’une part n’intervenait déjà, avant l’autonomie, que sur le volet des carrières et notamment ne s’occupait pas de paye, d’autre part se plaçait résolument dans une perspective intégratrice à l’égard de l’action de la direction des ressources humaines (DRH) de l’université ; et ce alors même que, la jeunesse de l’établissement aidant, la BU est la seule bibliothèque de toute l’université et que donc tous les représentants de la filière des personnels de bibliothèques travaillent en son sein. On ne peut dès lors que se réjouir de l’envoi, par le Ministère, de la circulaire de gestion du second semestre 2009 aux secrétaires généraux des universités, simultanément à l’envoi aux directeurs des services communs de documentation, qui jusque-là étaient dans la curieuse position de devoir l’adresser eux-mêmes aux DRH… Il est logique d’imaginer que les directeurs de SCD cesseront progressivement d’être les correspondants attitrés du bureau des personnels des bibliothèques et des musées à la direction générale des ressources humaines (DGRH) du Ministère.

La campagne d’emplois, dont la préparation va débuter incessamment, mettra en jeu comme jamais, sur la question des ressources humaines, l’arbitrage de l’équipe présidentielle puis le pouvoir de validation du conseil d’administration. Il est clair qu’à masse salariale stable les choix seront difficiles et qu’en particulier la BU, qui souhaite renforcer son effectif en catégorie A, aurait des difficultés à obtenir la requalification d’un poste si elle devait compenser rigoureusement la différence indiciaire sur son propre « stock ».

L’actualité institutionnelle de l’université de La Rochelle

L’actualité institutionnelle de l’université de La Rochelle en 2009 aura été riche puisqu’a également été signé, le 1er juillet, le décret instituant le pôle de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) dénommé « France Centre-Atlantique Université : PRES Limousin-Poitou-Charentes », soit un PRES interrégional regroupant trois universités et deux écoles. Après le remaniement des écoles doctorales, les objectifs de travail immédiats du PRES concernent l’offre de formation et les projets de recherche communs. La réflexion esquissée au printemps en vue d’une éventuelle compétence documentaire du PRES en matière de documentation électronique a surtout montré pour le moment la complexité de l’affaire et les écueils qui guettent le marin, notamment le risque de monter une « usine à gaz » chronophage et suscitant au final peu ou pas d’économies ; mais la réflexion doit se poursuivre.

Une coopération existe aujourd’hui entre les SCD des trois universités de La Rochelle, Limoges et Poitiers dans le cadre de l’Université numérique en région Poitou-Charentes-Limousin (UNRPCL) : elle a permis notamment la souscription d’abonnements communs à deux ressources numériques. Cependant, au-delà de la bonne entente entre les responsables concerné(e)s, cette action demeure fragile du fait de l’insécurité sur le montant et la pérennité des moyens financiers que peut apporter l’UNRPCL, ce qui rendra, en décembre, le renouvellement des abonnements malaisé, voire périlleux ; l’autre limite au développement de cette action résultant bien sûr du peu d’empressement (c’est un euphémisme) de la plupart des fournisseurs de ressources électroniques à accepter de n’avoir plus désormais qu’un seul client, l’UNR. Par ailleurs, à l’horizon de la rentrée universitaire de septembre 2010, la gestion de la mobilité étudiante entre SCD devrait être facilitée par l’adoption d’une carte multiservice unique au sein de l’UNRPCL.

L’entrée, en 2009, de l’université de Limoges dans le réseau des universités de l’Ouest-Atlantique (RUOA) a clarifié les réseaux existants : désormais, les trois universités de l’UNRPCL et du PRES font également toutes partie de cet autre regroupement, instauré en 2003. C’est, du reste, au final, le RUOA qui paraît aujourd’hui le plus utile sur le plan documentaire, et ce sur trois volets : inscription gratuite réciproque, dans les SCD, des étudiants et enseignants des dix universités concernées ; balance annuelle du prêt entre bibliothèques (PEB), qui simplifie notablement la gestion de ce service ; et bientôt, le service de référence en ligne ubib.fr – messagerie en instantané ou en différé – qui implique depuis février 2009 les SCD de Bretagne et des Pays de Loire et qui sera rejoint, en janvier 2010, par les SCD de Poitou-Charentes et de Limousin.

La vraie révolution

Mais non, décidément, les superstructures institutionnelles n’ont guère eu davantage d’impact en 2009 sur la bibliothèque universitaire de La Rochelle que la loi LRU et l’autonomie consécutive. La vraie révolution est ailleurs, c’est celle du numérique, qui fait évoluer profondément les pratiques des étudiants, bouleverse l’offre documentaire, bouscule et questionne fonctions, métiers et qualifications au sein de la bibliothèque.

Si le nombre annuel de prêts a augmenté jusqu’en 2006, alors qu’au niveau national le chiffre était en baisse dès 2005, la diminution est relativement brutale depuis lors : moins 11 % en 2007, moins 8 % en 2008, moins 7 % au premier semestre 2009, soit moins 15 % en deux ans et demi, la fréquentation, pour sa part, se maintenant pendant la même période. Dans le même temps, l’espace informatique en libre accès inclus dans la salle de lecture de la BU est et demeure le plus fréquenté de toute l’université ; le kiosque de prêt d’ordinateurs portables géré par la bibliothèque est toujours très sollicité ; des branchements électriques ont dû être ajoutés en salle de lecture.

Sur l’évolution des pratiques, des attentes et des besoins de ce public étudiant qui demeure quelque peu une « boîte noire », celui qui fréquente la bibliothèque et celui qui ne la fréquente pas (mais qui, peut-être, en utilise les services à distance), l’enquête sur les conditions de vie et de travail qui sera diffusée en novembre prochain par l’Observatoire des formations, de l’insertion professionnelle et de la vie étudiante (Ofive) de l’université de La Rochelle devrait permettre d’en savoir beaucoup plus.

Si l’évolution favorable du taux de pénétration (pourcentage des étudiants de l’université inscrits à la BU) figurait parmi les objectifs chiffrés du contrat quadriennal en cours, il faut pourtant déchanter. La baisse s’accentue, surtout du côté des étudiants de l’UFR Sciences et technologies. Il est vrai que l’inscription n’est obligatoire que pour emprunter : on voit bien là qu’il faut diversifier les indicateurs.

La formation à la méthodologie documentaire incluse dans l’enseignement de méthodologie universitaire, qui figure dans toutes les maquettes de première année de licence (L1), n’en revêt que plus d’importance : pour rejoindre les étudiants là où ils sont souvent, il convient d’insister encore et toujours sur la bonne utilisation d’internet.

Dans ces conditions, la constitution des collections suscite toujours plus d’interrogations. Ce qui est clair, c’est qu’en conformité avec les orientations d’une université qui met activement en avant les technologies de l’information et de la communication (TIC), la préférence est et sera, en matière documentaire, très généralement accordée au support numérique (vers le tout-électronique ou e-only), doublé, autant que faire se peut, d’un accès distant ou « nomade ». C’est ainsi que, depuis 2007, le nombre d’abonnements sur support papier se réduit chaque année au profit des versions numériques.

Quant au livre numérique, il est « présent » (sur le mode virtuel !) à la BU de La Rochelle depuis 2005, favorisé notamment à l’époque par une subvention de l’ex-Sous-direction des bibliothèques et de l’information scientifique, l’établissement ayant été au nombre des pilotes dans le cadre de l’étude nationale sur le livre électronique. Une communication et une formation renforcées autour de la bibliothèque Numilog ont permis d’enregistrer en 2008 plus de 1 100 prêts de ces fichiers numériques, chiffre de moins en moins anecdotique. Il va s’agir désormais d’élargir l’offre à d’autres bibliothèques numériques, ce qui ne sera pas difficile puisque l’on voit bien se mettre en place à l’échelle mondiale, après le périodique électronique, tous les éléments de la prochaine révolution documentaire, celle du livre numérique.

Le développement de cette offre dématérialisée, accessible « hors-les-murs », met le service à rendre sur le même plan que la collection, tout en nécessitant en amont un lourd et complexe travail de veille documentaire, technologique, statistique et juridique, dans un environnement en évolution constante et rapide. Le tout constitue un vrai défi en termes de pilotage des ressources humaines, de gestion des équipes et de formation continue des personnels (directeur inclus).

La révolution du numérique, tous ses tenants et aboutissants en termes de politique documentaire de l’enseignement et de la recherche, de connaissance du public étudiant, de définition des moyens financiers nécessaires, de gestion des ressources humaines, voilà de beaux et grands sujets de réflexion et d’action pour une université autonome…

Septembre 2009