Quelle est la place des images en histoire ?
Paris, Nouveau Monde éditions, 2008, 480 p., 23 cm
Coll. « Histoire culturelle » publiée par le CHCSC de l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines
ISBN 978-2-8473-6304-3 : 59 €
On pourrait s’interroger sur l’intérêt que présente la chronique, dans le Bulletin des bibliothèques de France, d’un ouvrage intitulé Quelle est la place des images en histoire ?, version remaniée d’un colloque tenu en avril 2006 à l’initiative du Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines, de l’Institut national de l’audiovisuel et de l’Institut des images. Pour les conservateurs de fonds iconographiques (estampes et photographies notamment), mais aussi vidéographiques et cinématographiques, la perplexité n’a pas lieu d’être, car la réponse donnée à la question par la trentaine d’historiens, de chercheurs réunis tout au long des quelque 500 (denses) pages de l’ouvrage conditionne – doit conditionner – les manières de collecter, de décrire, de conserver, de diffuser les fonds ou les images ainsi analysées au regard de l’Histoire – ou de l’histoire.
De précieux vade-mecum
Nombre de contributions seront d’ailleurs, pour les professionnels, de précieux, voire d’indispensables vade-mecum, qui leur permettront, non seulement de traiter les fonds au mieux des intérêts, des démarches et des comportements de leurs publics privilégiés, mais encore de veiller à la meilleure adéquation des services proposés avec des méthodes de travail mieux comprises grâce au travail réflexif mené par nombre d’auteurs sur leurs attentes mais aussi sur leurs méthodes et leurs usages d’images, fixes ou « animées ».
Dès ses « prologues », Christian Delporte, directeur du Centre précité, souligne combien les « choses ont changé ». Au temps des pionniers (Marc Ferro, Pierre Sorlin, Michel Vovelle) a succédé une époque dans laquelle « l’image, pour l’historien, n’est plus tout à fait un document mineur ». Le chemin a été long, et souvent chaotique, mais le résultat est là : d’une part, l’image n’est plus uniquement, pour l’historien, un objet commode d’illustration, mais un document complémentaire, une source, de son travail ; d’autre part, elle est devenue en elle-même objet d’étude, dans sa production, dans sa diffusion, dans les représentations dont elle témoigne et qu’elle contribue à façonner, sans qu’il soit ici question d’un quelconque fétichisme du support, ou même de ce qu’il supporte : « Ce qui compte [pour l’historien] c’est la manière dont on les [les images] questionne. »
À ces prémices, Laurent Gervereau, président de l’Institut des images, ajoute de pertinents développements dans sa contribution intitulée « Les trois révolutions des images » : révolution quantitative d’abord, à laquelle les professionnels des bibliothèques et de la documentation sont en tout premier lieu confrontés. D’abord rare, précieuse, l’image est aujourd’hui multiple, proliférante, étouffante – accablante ? Mieux, « pour la première fois dans l’histoire, chaque individu se voit en contact direct avec les images de toutes les époques, de toutes les civilisations et de tous les supports, en ayant de surcroît la possibilité d’émettre lui-même en ligne » ; révolution qualitative ensuite, en ce sens que le champ d’investigation des historiens s’ouvre désormais à toutes les « formes » d’image, internet permettant d’ailleurs une confusion absolue des origines, ce qui n’est pas sans danger : « L’ère de la compilation sur écran devient celle de la dilution de l’art dans un magma visuel généralisé en circulation planétaire » ; révolution des récepteurs enfin à l’heure, sans paranoïa aucune, de la manipulation généralisée : « Une guerre gagnée sur le terrain mais perdue dans les opinions publiques est une guerre perdue », « désormais la Guerre mondiale médiatique englobe tout ». D’où la nécessité absolue « d’apprendre… l’histoire spécifique des formes médiatiques, seuls repères aidant à sérier ce qui arrive en masse ».
Une diplomatique de l’image
Après ces prolégomènes, dont la lecture s’impose vigoureusement, l’ouvrage propose en trois parties une série de questionnements qu’on peut grossièrement résumer : la première partie, « Recherches sur l’image, quel bilan ? De l’image-illustration à l’image-objet d’études », affirme l’image (l’image fixe comme le cinéma ou la télévision) comme objet d’étude à part entière, avec le risque, évoqué par certains rédacteurs, d’occulter l’immersion nécessaire de cette recherche dans des approches qu’on qualifiera de « multisupports » ; la deuxième partie – sans doute la plus pertinente par rapport à l’interrogation initiale, « Quelles sources, quelles méthodes pour l’historien ? », s’intéresse à la question des sources et de leur éventuelle manipulation (on y revient) ; la troisième partie, plus foisonnante mais aussi plus spécialisée, « Des études sur l’image à l’histoire du visuel », propose la recension de différents travaux de recherche – tous ayant bien évidemment à voir avec la quête iconographique.
Un texte de la deuxième partie retient particulièrement l’attention. Dans le délicat « Pour une diplomatique de l’image », Élisabeth Parinet, directrice d’étude à l’École nationale des chartes, à laquelle donc nos pratiques ne sont certes pas étrangères, analyse avec subtilité et pertinence la question des sources, pour affirmer : « La méfiance à l’égard des images est parfaitement fondée : toutes les images, par nature, mentent. » Pour noter aussitôt que « les nouvelles technologies ont accru les difficultés de l’examen critique ». À la lire, on comprend que la « grande numérisation », qui est désormais notre lot, signifie aussi, et de manière définitive, notre basculement dans l’ère du mésusage possible et potentiellement insoupçonné, dans l’époque du faux, dans la banalisation irrémédiable du soupçon, dans le règne contingenté de l’incertitude, de l’inquiétude des sources – et que le constat contamine désormais toutes les sources puisque, s’ils ne mourraient pas tous, tous étaient frappés. Oui certes, Quelle est la place des images en histoire ?, par la richesse de ses contributions, a à nous dire – a beaucoup à nous dire.