L'évolution des usages et des pratiques documentaires du lycée à l'université
Besoins, attentes et représentations
Bernadette Patte
Le mercredi 25 mars 2009 s’est tenue, à l’université d’Artois, une journée d’étude organisée par le service commun de la documentation ayant pour thème « l’évolution des usages et des pratiques documentaires du lycée à l’université : besoins, attentes et représentations ».
Continuité pédagogique et promotion de l’égalité des chances
Le cadre institutionnel et réglementaire ainsi que le contexte ont été rappelés dans la première partie de la journée, notamment dans l’intervention de Daniel Renoult, doyen de l’Inspection générale des bibliothèques (IGB), et Jean-Louis Durpaire, Inspection générale de l’Éducation nationale (IGEN), qui ont livré en avant-première les conclusions de l’étude nationale sur la liaison lycée/université dans la formation à la documention. Cette étude s’appuie sur l’observation de trois universités et de vingt lycées situés dans neuf académies. Pour les étudiants arrivant à l’université, le libre accès aux collections et la polyvalence des espaces sont paradoxalement autant de freins à l’accès aux ressources documentaires, et les conduisent à une sous-utilisation de l’offre. Dans le même ordre d’idées, la « googlelisation » des pratiques fait écran aux autres approches de la documentation. Côté Éducation nationale, le mot d’ordre est « apprendre à apprendre » : mieux situer les compétences informationnelles, mieux utiliser le temps scolaire, apprendre l’autonomie.
David Markowski, chargé de mission à l’université numérique de l’université de l’Artois a resitué la documentation et les TIC (technologies de l’information et de la communication) dans le plan « Réussir en licence » et a plus particulièrement axé son propos sur le lien entre le B2i (Brevet informatique et internet) et le C2i (Certificat informatique et internet) et sur le projet de parrainage mis en place à l’université d’Artois pour accompagner cette transition, projet soutenu par le -dispositif Mipe (Micro-portable étudiant).
Frédéric Blin, de la MISTRD (Mission de l’information scientifique et technique et des réseaux documentaires), a présenté une synthèse concernant l’activité de formation des usagers dans le réseau des bibliothèques universitaires, qui montre, avec des chiffres probants, l’évolution régulière et permanente des formations auprès des étudiants de 1996 à 2007 : augmentation de 81,8 % du nombre d’heures de formation dans les cursus, de 83,37 % du nombre d’étudiants formés dans les cursus et de 47,54 % du nombre total des étudiants formés. Ce bilan présente les effets bénéfiques de la législation et une progression des financements, la formation étant une priorité explicite des contrats. Il montre également l’importance du rôle des Urfist (unités régionales de formation à l’information scientifique et technique) et la généralisation des formations dans les établissements, avec la création de postes de coordinateurs et d’équipes de formateurs.
De nouvelles perspectives s’envisagent autour de l’articulation du C2i avec le plan « Réussir en licence » et la diversification des moyens pour sensibiliser les étudiants aux universités numériques et aux possibilités du web 2.0.
Digital natives : la génération du « tout et tout de suite »
Claude Poissenot (IUT de Nancy-2), dans son intervention « Cultures et générations en milieu documentaire », a d’emblée posé la problématique du fossé des générations et des réalités de ce fossé en milieu documentaire. Il a appuyé son propos sur le constat de « l’épuisement de l’ordre des livres », d’après le titre de l’essai de Roger Chartier, et sur l’observation d’évolutions sociales et technologiques certainement irréversibles, comme la démocratisation de l’enseignement supérieur et la généralisation de « pratiques documentaires indigènes » (Wikipédia, Google, blogs). Il a ensuite livré des pistes pour rendre les bibliothèques attractives pour cette génération : reconnaissance de la culture « ado » et du besoin d’autonomie des jeunes, généralisation d’espaces de travail et de détente…
Ces éléments se retrouvent dans la synthèse exposée par Cécile Touitou (Tosca Consultants) concernant une étude menée sur les pratiques lectorales et de recherche d’information chez les 11-18 ans. Cette étude avait pour but de cerner davantage cette « génération internet » ou « digital natives », ayant grandi et évoluant quotidiennement dans l’environnement des TIC. Elle montre l’importance accordée, pour cette génération, aux loisirs non exclusifs, vécus sur un mode multitâche, au détriment de la lecture de loisir, avec une place prédominante réservée à la communication textuelle, mode discret, non intrusif et permettant des activités multiples. Ces modes d’appropriation de la culture de loisirs impactent fortement les pratiques de recherche documentaire : l’étude menée aux États-Unis par OCLC sur la perception des bibliothèques et des ressources informationnelles chez les étudiants montre que la bibliothèque est utilisée par seulement 2 % des étudiants dans la première étape d’une recherche d’information *.
Des expériences de coopération lycée/université
Des exemples de politique active de l’université vis-à-vis des lycées ont été exposés à la faveur de la table ronde animée par Corinne Leblond, directrice du SCD de l’université d’Artois : participation à des forums dans les lycées, organisation de portes ouvertes pour les futurs étudiants et aussi accueil plus ciblé de groupes de lycéens avec cours magistraux et séances de travaux dirigés adaptés. Ces actions prennent particulièrement en compte le rôle crucial de l’environnement numérique. Le SCD coopère activement en participant aux formations C2i pour les étudiants primo-entrants, en organisant des formations à la méthodologie documentaire dans le plan « Réussir en licence », et par l’alimentation en ressources numériques du portail documentaire.
Plus originaux sont les partenariats BU-CDI qui mettent en place une présentation adaptée des ressources électroniques dans les centres de documentation et d’information et des visites ciblées de la bibliothèque universitaire mettant l’accent sur les usages des bases de données et la présentation des outils. La BU est également sollicitée pour des séances de préparation de travaux personnels encadrés pour des classes de première.
Gérer la transition, accueillir, former, créer du lien et construire une complémentarité entre les structures du CDI et de la BU grâce à un partenariat avec les professeurs documentalistes des lycées et la reconnaissance de la BU comme espace de formation, ce sont aussi les objectifs de l’expérience de l’université d’Évry-Val-d’Essonne présentée par le directeur du SCD, Grégory Colcanap.
À l’université d’Artois comme à celle d’Évry, les actions de partenariat sont motivées par une forte inscription dans un tissu social défavorisé. Elles ont été rendues possibles par la proximité géographique et le contexte fort d’agglomération. Dans les deux cas, la coopération avec les enseignants documentalistes est une condition obligée ; dans le cas de l’université d’Évry, la présence d’un chargé de formation attaché à l’université connaissant les besoins et les établissements du secondaire a fortement contribué à la réussite de ce partenariat.
Cette journée motivante a renforcé les convictions des professionnels de la nécessité d’œuvrer pour la continuité pédagogique entre lycée et université comme voie de réussite et de promotion de l’égalité des chances. La question de l’enveloppe budgétaire et des moyens humains devrait être maintenant la priorité des universités.