La mise en oeuvre de l'exception au droit d'auteur en faveur des personnes handicapées
La loi du 1er aout 2006 dite loi Dadvsi (droits d’auteur et droits voisins dans la société de l’information) a introduit dans le Code de la propriété intellectuelle une nouvelle exception au droit exclusif de reproduction et de représentation des auteurs et des titulaires de droits voisins prévu aux articles L.122-4 et 211-3 du code, au bénéfice des personnes handicapées. Autorisée par la directive européenne du 22 mai 2001, dont la loi Dadvsi constitue la transposition, cette exception permet, sans autorisation préalable ni rémunération des ayants droit, la reproduction et la représentation d’œuvres protégées sur des supports adaptés aux personnes handicapées, effectuées par des personnes morales poursuivant un but non lucratif et par des établissements ouverts au public comme les bibliothèques, les services d’archives, les centres de documentation et les espaces culturels multimédias. La reproduction autorisée dans le cadre de l’exception ne peut cependant être effectuée qu’en vue d’une consultation strictement personnelle par les personnes atteintes d’un handicap.
Afin de faciliter le travail des organismes transcripteurs, ceux-ci pourront demander, dans les deux ans suivant le dépôt légal des œuvres imprimées, que les fichiers numériques ayant servi à l’édition de ces œuvres soient déposés par les éditeurs auprès de la Bibliothèque nationale de France qui les mettra à leur disposition selon une procédure sécurisée.
Le texte de cette exception constitue l’alinéa 7° de l’article L. 122-5 (droit d’auteur) et l’alinéa 6° de l’article L. 211-3 (droits voisins) du CPI.
Cependant, l’application de cette exception nouvelle était subordonnée à l’adoption de plusieurs mesures réglementaires, essentiellement :
- un décret en Conseil d’État précisant les conditions d’application de l’exception ;
- un décret simple désignant l’organisme dépositaire des fichiers des éditeurs ;
- la publication par l’autorité administrative de la liste des établissements autorisés à demander la mise à disposition des fichiers numériques ayant servi à l’édition d’œuvres imprimées, pour en faire une version adaptée.
Voici l’essentiel des précisions apportées par le décret en Conseil d’État n° 2008-1391 du 19 décembre 2008.
Définition des personnes handicapées bénéficiaires de l’exception
L’exception prévue par la loi s’applique quel que soit le type de handicap, mais reste conditionnée par la reconnaissance d’un certain niveau d’incapacité. Trois catégories de personnes sont concernées :
- les personnes dont le taux d’incapacité, apprécié en application du guide-barème pour l’évaluation des déficiences et incapacités des personnes handicapées figurant à l’annexe 2-4 du Code de l’action sociale et des familles, est égal ou supérieur à 80 % ;
- les personnes titulaires d’une pension d’invalidité au titre du 3° de l’article L. 341-4 du Code de la Sécurité sociale ;
- les personnes reconnues par certificat médical, délivré par un médecin ophtalmologiste, comme empêchées de lire après correction.
Cependant, la transmission des fichiers numériques est restreinte aux personnes handicapées pour lesquelles l’accès aux fichiers conditionne la lecture de l’œuvre (personnes atteintes de cécité, personnes atteintes d’un handicap moteur les empêchant de tourner manuellement les pages d’un document imprimé…).
Critères et modalités de désignation des personnes morales chargées d’adapter les œuvres aux besoins des personnes handicapées
La liste des établissements et des personnes morales autorisés à reproduire et à représenter les œuvres est arrêtée conjointement par le ministre chargé de la Culture et le ministre chargé des Personnes handicapées, sur proposition d’une commission ad hoc. Dans la mesure où tous ces organismes n’ont pas besoin, dans leur travail de transcription, d’avoir recours aux fichiers numériques (ex : production de livres tactiles, adaptations audiovisuelles, documents sonores,), la liste identifiera ceux qui seront expressément habilités à demander l’accès à un fichier numérique et ceux qui ne le seront pas.
Cette liste fera l’objet d’une publication au Journal officiel. Les personnes morales et les établissements devront adresser leur demande d’agrément à la commission instituée auprès des ministres compétents.
Les critères de désignation des organismes habilités à mettre à disposition des personnes handicapées des supports adaptés à leurs besoins reposent sur les moyens matériels et humains dont ils disposent, sur le nombre et la qualité de leurs usagers ou de leurs membres ainsi que sur la réalité de leur activité à destination des personnes handicapées. Des critères complémentaires sont prévus pour la désignation des organismes qui seront habilités à demander l’accès aux fichiers numériques des œuvres imprimées. Ceux-ci doivent justifier des conditions de conservation, d’adaptation et de communication des fichiers et des moyens de sécurisation et de confidentialité de ces différentes activités.
La commission en charge de l’exception
La commission comprend dix membres, nommés par arrêté conjoint du ministre chargé des Personnes handicapées et du ministre chargé de la Culture pour une période de quatre ans :
- cinq membres représentant des associations représentatives de personnes atteintes d’un handicap et de leurs familles ;
- cinq membres représentant les titulaires de droits.
Un représentant de l’organisme dépositaire, la BnF, participe aux travaux sans prendre part aux votes.
La commission est chargée d’instruire les demandes d’agrément, d’établir le projet de liste et de veiller à ce que les activités des personnes morales et des établissements agréés respectent les obligations fixées à l’article L. 122-5 7° du Code de la propriété intellectuelle. À cette fin, les personnes morales et établissements produisent un rapport annuel d’activité. En cas de manquement constaté, la Commission en informe le ministre chargé des Personnes handicapées et le ministre chargé de la Culture.
L’organisme dépositaire des fichiers numériques des éditeurs
La Bibliothèque nationale de France a été désignée en qualité d’organisme dépositaire par le décret n° 2009-131 du 6 février 2009. Elle devra remettre aux ministres compétents un rapport annuel destiné à rendre compte de l’activité de dépôt et de transmission des fichiers numériques ayant servi à l’édition des œuvres imprimées.
Le décret du 19 décembre 2008 prévoit un délai de transmission des fichiers numériques pour les éditeurs. Ces derniers devront déposer leurs fichiers auprès de l’organisme dépositaire dans un délai de deux mois suivant réception de la demande transmise par celle-ci. La loi impose par ailleurs à cet organisme dépositaire de mettre les fichiers à disposition des organismes transcripteurs dans un format ouvert, ainsi que de garantir la confidentialité des fichiers et la sécurisation de leur accès.
La mise en application de l’exception
L’application des textes réglementaires évoqués plus haut supposait la réalisation d’un certain nombre de mesures concrètes. Il s’agit de :
La création d’un site Internet dédié
Toutes les informations concernant la mise en œuvre de l’exception handicap sont disponibles à l’adresse suivante : http://www.exception.handicap.culture.gouv.fr
L’installation de la commission
La commission prévue à l’article R. 122-16 du Code de la propriété intellectuelle a été installée auprès du ministre de la Culture et de la Communication et du ministre chargé des Personnes handicapées le 30 juin dernier. Elle sera présidée durant sa première année d’existence par Monsieur Alain Lequeux, membre du Comité national pour la promotion sociale des aveugles et des amblyopes.
La mise en ligne du dossier de demande d’agrément
Afin de poursuivre, dans le cadre de l’exception légale, leur activité de conception et de communication de supports au bénéfice des publics handicapés, les structures concernées peuvent désormais déposer un dossier de demande d’agrément auprès de la commission en charge de l’exception handicap. Le dossier, téléchargeable sur le site dédié, sera à terme disponible en deux versions correspondant aux deux niveaux d’agrément induits par l’exception handicap :
- agrément simple autorisant la reproduction des œuvres sur des supports adaptés aux publics handicapés ;
- agrément pour l’obtention des fichiers des éditeurs auprès de la Bibliothèque nationale de France.
À ce jour, seule la première version est en ligne, puisque le décret du 19 décembre a différé au 1er décembre 2009 la possibilité pour les organismes transcripteurs agréés de demander les fichiers des éditeurs.
Les informations demandées dans le dossier portent sur :
- la présentation de la structure (données d’identification et moyens de fonctionnement) ;
- la description de ses activités de conception, de réalisation et de communication de supports adaptés, des moyens dévolus à ces activités et des perspectives de développement ;
- l’estimation du nombre de bénéficiaires répondant aux conditions requises par le décret du 19 décembre 2008 ;
- les moyens mis en place pour contrôler l’usage des œuvres, qui peuvent relever de l’organisation du service d’adaptation, de la politique d’accès aux documents adaptés, d’actions de sensibilisation auprès des bénéficiaires et/ou de mesures techniques de protection des fichiers. Ce dernier volet sera plus développé dans le dossier de demande d’agrément pour l’obtention des fichiers des éditeurs.
La préparation du dispositif de demande de fichiers éditeurs à la Bibliothèque nationale de France
La Bibliothèque nationale de France travaille actuellement au développement d’une plateforme sécurisée de dépôt et de transfert des fichiers numériques ayant servi à l’impression des œuvres, dont la mise en service se fera progressivement à partir de décembre 2009. Les représentants des éditeurs et des ayants droit sont régulièrement informés et consultés.
Quelles perspectives pour les bibliothèques ?
Le texte de loi indique que les bibliothèques peuvent bénéficier des dispositions de l’exception handicap au même titre que les associations et autres organismes transcripteurs ou adaptateurs. À ce titre, elles doivent se conformer à la même procédure de demande d’agrément.
Il appartiendra à la commission de se prononcer sur les applications concrètes qui seront admises pour les bibliothèques dans le cadre de la mise en œuvre de l’exception. Diverses pratiques des bibliothèques en cours ou en projet pourraient ainsi être soumises à l’avis de la commission. On peut penser à la transcription de livres en braille, mais aussi à la consultation sur place des fichiers des éditeurs par le biais d’un poste informatique adapté, à l’impression de documents convertis en format numérique accessible, à la transmission directe à l’usager de fichiers numériques issus de cette opération de conversion…
Pour une bibliothèque, faire la démarche de demander l’agrément implique donc de réfléchir au positionnement qu’elle souhaite adopter au regard de l’édition adaptée : si le fait de donner accès à des collections adaptées fait partie intégrante de ses missions de service public, le choix de produire elle-même ces collections adaptées relève d’une politique bien plus volontariste et nécessite l’acquisition de compétences spécifiques. Au-delà de la reconnaissance officielle du rôle des bibliothèques dans l’édition adaptée, il est souhaitable que l’exception handicap amène à une plus grande mutualisation du travail d’adaptation entre les différents acteurs de l’édition adaptée. Cette mutualisation pourrait passer notamment par le signalement des collections adaptées de la bibliothèque et des transcriptions en cours dans un catalogue collectif national (des liens sont à créer avec la Banque de données de l’édition adaptée – BDEA – gérée par l’Institut national des jeunes aveugles).
Juin 2009