L'industrie du livre en France et au Canada : perspectives
Christine Evain
Frédéric Dorel
Paris, L’Harmattan, 2008, 252 p., 24 cm
ISBN 978-2-2960-5699-2 : 24,50 €
L’analyse comparative, exercice aussi périlleux que passionnant, déjà bien engagée dans le domaine de l’histoire de l’édition 1, manquait jusqu’à présent au domaine de la socio-économie contemporaine du livre. Christine Evain et Frédéric Dorel s’attellent à cette tâche par une étude de l’industrie du livre de deux des pays de l’espace francophone 2 : la France et le Canada. Ce dernier est restitué dans sa double structure éditoriale anglophone et francophone, tardivement et difficilement émancipée des tutelles française, britannique et surtout américaine, lors des années 1960 et 1970. L’ouvrage s’intéresse donc à trois systèmes et trois marchés éditoriaux à part entière, très inégaux par la taille et les institutions, mais aussi par les relations qu’ils peuvent entretenir entre eux.
L’industrie du livre en France et au Canada se compose de deux parties analytiques, dédiées chacune à l’étude du champ éditorial dans chaque pays, puis d’une dernière partie, à la fois plus thématique et pragmatique, regroupant des recommandations « à l’usage des professionnels souhaitant élargir leur audience des deux côtés de l’Atlantique », et s’attachant davantage à la description des salons, foires et agents internationaux. L’ouvrage s’appuie sur des entretiens avec des professionnels du livre de tous les échelons (des éditeurs aux libraires) et des spécialistes de l’édition (journalistes ou universitaires), sur les sources professionnelles et, outre les références bibliographiques classiques, sur un recours important aux ressources internet en ligne, dont les adresses peuvent s’avérer précieuses au lecteur, même à l’heure du Google-roi.
La globalisation éditoriale en marche a incontestablement amené de fortes convergences dans l’industrie du livre en France et au Canada, notamment avec la création de grands groupes médiatiques – dont les groupes américains pour le Canada anglophone –, pour lesquels le marché du livre ne constitue qu’une infime partie du chiffre d’affaires, la concentration dans le secteur-clef de la distribution, incontestablement le plus rentable aujourd’hui (Hachette et Interforum en France, Chapters-Indigo au Canada), ou encore la promotion stratégique de plus en plus prégnante de quelques best-sellers mondiaux 3.
Spécificités et disparités
À la lecture de ce livre, on découvre pourtant combien les modes de fonctionnement en termes juridiques (copyright issu du droit anglo-saxon face au droit d’auteur français), législatifs et réglementaires (le prix unique institué par la loi Lang d’un côté, des aides gouvernementales sectorielles, via un système d’agréments au Québec, de l’autre) demeurent tout à fait spécifiques dans chacun des espaces. Les institutions éditoriales elles-mêmes révèlent également de grandes disparités : le grand rôle des agents au Canada anglophone, sur le modèle américain, contraste par exemple avec leur situation marginale en France.
L’ouvrage est facile d’accès, grâce à une présentation très aérée et une volonté pédagogique louable d’illustrer chaque argument : tel un guide pratique, il entend permettre au néophyte de se familiariser avec les différents systèmes éditoriaux, les institutions publiques ou privées qui régissent leur fonctionnement, ou encore les différentes associations professionnelles. Les auteurs s’attachent à aborder tous les maillons de la chaîne du livre, de la production à la réception, jusqu’aux dispositifs de prescription et de financement ; une tâche aussi méritoire que considérable sur 250 pages à peine, quitte à tracer parfois l’essentiel en quelques lignes.
Privilégiant l’état des lieux contemporain, l’ouvrage manque parfois de profondeur historique, ainsi lorsqu’il considère la question de la concentration capitaliste du secteur en France, dont le regroupement en deux groupes, Hachette et Vivendi, n’a jamais été qu’une nouvelle étape, de grande ampleur il est vrai. Il est aussi trop rapide, sans doute, sur certaines questions fondamentales : la « crise », posée en préambule, mériterait plus de développements et de nuances. S’il peut donc servir d’introduction à la découverte des industries du livre française et canadienne, cet ouvrage doit donc être complété par de plus amples lectures, auxquelles aurait pu inciter une bibliographie finale maigre et peu maniable, au regard d’un livre qui l’est bien davantage. Cette étude a en tout cas le mérite d’avancer sur la voie d’une analyse comparative qui pourrait tenter désormais de saisir dans ce cadre, au-delà de la seule francophonie, les situations éditoriales des pays plurilingues, comme la Suisse ou la Belgique.