Livres et lecteurs en Provence au XVIIIe siècle : autour des David, imprimeurs-libraires à Aix

par Jean-François Foucaud

Gilles Éboli

Méolans-Revel, Atelier Perrousseaux, 2008, 320 p., 23 cm
Coll. Kitab Tabulae
ISBN 978-2-9112-2025-8 : 32 €

C’est une large fresque, à la fois érudite et attrayante, que nous livre Gilles Éboli avec cette édition à peine remaniée de la thèse qu’il a soutenue à l’École des chartes en 1984. Nous y suivons la saga d’une dynastie d’imprimeurs-libraires du XVIe au XVIIIe siècle, à Aix-en-Provence. La première partie, riche et agréable à lire, pose le décor artistique, intellectuel, culturel : la Provence et Aix, ville parlementaire, sa société, l’environnement de la famille David. Et, de ce fait, l’ouvrage dépasse amplement la monographie consacrée à un libraire, si important soit-il. L’auteur dresse d’entrée un panorama très complet de la vie institutionnelle et culturelle à Aix au XVIIIe siècle, en forme d’« étude de marché » pour la librairie des David. Et il termine par une analyse de cette clientèle, les lecteurs aixois à la fin de l’Ancien Régime.

Ce n’est que dans la deuxième partie qu’apparaît Étienne David, gendre et héritier du fameux libraire lyonnais Jean Tholosan, installé à Aix en 1597, et fondateur d’une lignée qui tint librairie dans cette ville jusqu’à la Révolution française : la maison ferme en 1792. L’auteur s’attache à l’activité de la librairie, à ses commanditaires : les David sont « imprimeurs-libraires du roi, des États et de la noblesse de Provence ». Pour autant, la proximité d’Avignon leur pose problème, car cette ville, propriété pontificale, n’est pas soumise à la réglementation du Royaume. Et de l’autre côté, Marseille compte également quelques imprimeurs de renom. Des schémas et des tableaux permettent d’estimer la production de la maison, des cartes nous montrent le réseau tissé autour d’Aix, avec évidemment une dominante régionale, mais à pondérer : les David sont également présents à Paris et jusqu’à Rennes. Et leur activité, de façon tout à fait originale, s’élargit à la librairie ancienne, au livre précieux, pour le bonheur de quelques bibliophiles locaux dont certains sont restés célèbres, comme le marquis de Méjanes, à l’origine de l’actuelle bibliothèque de la ville d’Aix. L’étude va jusqu’à détailler la typologie des ventes. Par ailleurs, l’abondante correspondance familiale permet de dépasser ce cadre institutionnel et professionnel pour pénétrer dans l’intimité d’une famille provençale, avec ses particularismes, ses hésitations sur la religion, la langue…

Histoire économique, histoire des mentalités aussi, et des sociabilités : le sujet est intéressant et original, l’auteur le domine parfaitement, l’éditeur nettement moins. On regrettera qu’un ouvrage aussi riche soit ainsi desservi par une édition aussi minimaliste.

Une édition minimaliste

Une bibliographie aujourd’hui ne peut faire l’économie des travaux récents de Jean-Yves Mollier, Roger Chartier, Robert Darnton, Hans-Jürgen Lüsebrink… – et tant d’autres, dont Daniel Roche, qui figure bien dans la bibliographie, puisqu’il était membre du jury, mais sans mise à jour depuis vingt-cinq ans. S’il fallait trouver un défaut à cet ouvrage, il ne viendrait certes pas du texte, mais de sa présentation, de son édition ; et c’est d’autant plus regrettable pour un ouvrage dont c’est précisément le sujet. L’apparat critique est plutôt difficile à utiliser : les notes sont renvoyées en fin d’ouvrage, numérotées chapitre par chapitre, et renvoient elles-mêmes à la bibliographie par le biais de numéros… Avec ce double niveau, l’éditeur n’a pas choisi la simplicité de lecture : on se prend à regretter le confort des notes en bas de page. Et une relecture plus attentive aurait évité des petites fautes irritantes dans le cours du texte, comme Aix, à 200 lieux de Paris (p. 32), dote pour dot (p. 93) ou tâche pour tache (p. 94). En un mot, le texte aurait mérité une révision plus soignée. Une édition, au premier sens du terme. Il y a beaucoup trop de notes pour un ouvrage destiné au public, certaines paraissent redondantes. Mais surtout le double apparat critique ne se justifie pas dans une édition grand public. Et la bibliographie (p. 305 et suivantes) ne comporte même pas les prénoms des auteurs.

Cet ouvrage est la preuve, s’il en fallait une, que les rôles de l’auteur et de l’éditeur sont complémentaires, mais aussi nécessaires l’un que l’autre. L’auteur, dans ce cas, a parfaitement rempli son rôle : il a soutenu brillamment sa thèse en 1984. L’éditeur, lui, n’a manifestement pas seulement imaginé avoir un rôle à jouer, sinon reprendre tel quel le texte déposé il y a maintenant vingt-cinq ans : aucun effort d’aggiornamento dans la bibliographie, de lisibilité pour les graphiques, ni même de simple correction orthographique. Le lecteur d’aujourd’hui ne peut que déplorer cette négligence, en espérant que ce ne soit pas un parti pris qui obère la suite à venir de cette collection, a priori plutôt intéressante.