Au bon roman
Laurence Cossé
ISBN 978-2-0701-2326-1 : 22 €
Cher lecteur et/ou abonné du Bulletin des bibliothèques de France, j’espère que vous avez eu la chance de rencontrer au gré de vos lectures personnelles et buissonnières, un des petits bijoux malicieux et pétillants que nous concocte, à un rythme volontiers bisannuel, l’inventive Laurence Cossé.
Si ce n’est pas le cas, précipitez-vous !
La liste en est déjà longue. Aucun n’est indigne de votre attention, car tous se situent à ce point fragile d’équilibre entre légèreté et gravité, grâce et profondeur, humour et critique désenchantée.
J’ai pourtant une tendresse particulière pour certains d’entre eux.
– Le coin du voile : un soir de printemps, à la fin d’une soirée studieuse, un frère casuiste (ne cherchez pas, l’ordre n’existe pas) ouvre une de ces épaisses lettres qu’un allumé à la recherche de la preuve de l’existence de Dieu lui envoie assez régulièrement. « Six pages plus loin, il tremblait. Cette fois la preuve n’était ni arithmétique, ni physique, ni esthétique, ni astronomique, elle était irréfutable. » Le roman décrit avec une cynique jubilation les effets d’une découverte aussi bouleversante.
– Le mobilier national : comment Jean-Léger Tuffeau, énarque et responsable du Patrimoine au ministère de la Culture résout d’une façon inédite la cruelle question du manque de crédits, notamment en matière de préservation et de restauration des cathédrales…
– Ce 31 du mois d’août où vous apprendrez enfin où est passée la mystérieuse Fiat Uno blanche aperçue par plusieurs témoins au pied du pont de l’Alma certain soir tragique de l’été 1997.
Laurence Cossé ne s’attaque pas toujours à l’immédiate actualité afin de nous en montrer, désinvolte et magistrale, les contradictions, les hypocrisies, les compromissions. Ainsi, dans La femme du premier ministre, elle campe avec bonheur la figure du duc de Choiseul, le grand Choiseul, ministre de Louis XV, à travers les souvenirs de sa femme, l’aimante Louise-Honorine, sur le point d’être guillotinée (rassurez-vous, lecteur sensible, elle ne le sera pas) et un récit truffé d’extraits de la correspondance et des mémoires de son brillant époux.
Quand elle ne relève pas avec brio les défis littéraires insensés qu’elle se lance à elle-même, elle écrit aussi des nouvelles (Vous n’écrivez plus ?), des pièces de théâtre (La terre des folles)…
Le BBF n’ayant pas pour vocation première d’aider ses lecteurs à préparer leurs lectures de plage, je sens poindre chez vous, cher lecteur, une certaine perplexité. Pourquoi évoquer, dans cette austère rubrique, un auteur qui, en dehors des bonheurs de lecture qu’elle semble promettre, ne relève en rien de la très sainte bibliothéconomie ?
Comment parler de la lecture
Moins soporifique qu’Alberto Manguel (je le confesse, je fais partie des gens que le Journal d’un lecteur a lassés), plus moderne que François de La Mothe Le Vayer dont on vient de publier la Lettre sur les moyens de dresser une bibliothèque d’une centaine de livres seulement, Laurence Cossé nous parle de façon essentielle de la littérature et de la lecture à travers un « faux » roman policier.
Lequel raconte une entreprise originale, née de l’improbable rencontre entre deux lecteurs passionnés, Ivan Georg, libraire de génie et routard repenti, et Francesca, mécène désenchantée. En posant d’emblée un postulat d’une simplicité biblique, « L’important n’est pas que nous ayons tous les bons romans, mais que nous n’ayons que des bons romans », ils inventent un concept de librairie « spécialisée » qui va bouleverser le Landerneau littéraire, dans une cascade d’événements dramatiques et de débats polémiques que je vous laisse le plaisir de découvrir.
Mais dès leurs premières discussions autour de la nature et la composition de l’offre défilent les questions familières à tout bibliothécaire en charge de politique d’acquisition et de développement des collections : que des romans, rien que des romans ? Quelle part réserver aux nouveautés ? La taille de la collection ? Comment choisir ces bons romans ? Peut-on se passer « des livres que c’est pas la peine » (l’expression est de Paulhan) ?
Tout fait sens et interpelle, qu’on soit d’accord ou non avec les positions de nos libraires aventuriers : « L’idée était qu’on ne peut pas opposer littérature populaire et littérature élitiste, qu’il est même sans intérêt de vouloir les distinguer, outre que c’est bien difficile. L’une et l’autre comptant quantité de livres anodins et quelques chefs-d’œuvre, la seule distinction qui vaille consiste à promouvoir les grands livres, dont certains sont très simples et d’autres difficiles. » « Je voudrais écrire qu’à l’inverse, traiter les livres médiocres à l’égal des bons, et tout offrir comme si tout se valait, a beaucoup à voir avec le mépris, car c’est de la démagogie. Et la démagogie postule que le commun sera toujours le commun. »
Il faudrait citer intégralement le bouleversant manifeste rédigé par Francesca pour défendre son projet : « Nous voulons des livres nécessaires, des livres qu’on puisse lire le lendemain d’un enterrement, quand on n’a plus de larmes tant on a pleuré, qu’on ne tient plus debout, calciné que l’on est par la souffrance […] des livres pour les nuits où malgré l’épuisement on ne peut pas dormir, et où l’on voudrait simplement s’arracher à des visions obsessionnelles […]. Nous voulons des livres écrits pour nous qui doutons de tout, qui pleurons pour un rien, qui sursautons au moindre bruit derrière nous […]. Nous voulons des livres splendides qui nous plongent dans la splendeur du réel et qui nous y tiennent. »
Et, dernier bénéfice secondaire de ce précieux livre : bien que refusant – elle s’en explique en exergue – de citer les titres d’auteurs ayant une position de pouvoir, Laurence Cossé évoque, au long des 496 pages, de très nombreux romans, discrets mais très pertinents conseils qui vous permettront de préparer vos lectures de vacances… Oups ! Qu’avais-je dit au début de ce billet ?