Babar, Harry Potter & Cie : livres d'enfants d'hier et d'aujourd'hui
Paris, Bibliothèque nationale de France, 2008, 580 p., ill., 21 cm
ISBN 978-2-7177-2422-6 : 48 €
Pendant quelques mois, une immense et intrigante silhouette de fillette créée par Grégoire Solotareff a orné une tour de la Bibliothèque nationale de France, invitant de loin à venir découvrir l’exposition « Babar, Harry Potter & Cie : livres d’enfants d’hier et d’aujourd’hui * ». Celle-ci était présentée du 14 octobre 2008 au 11 avril 2009 pour accueillir comme il se doit l’événement que constitue le rattachement (depuis le 1er janvier 2008) à la BnF (département Littérature et Art) de La Joie par les livres-Centre national du livre pour enfants – qu’il convient désormais de nommer Bibliothèque nationale de France/Centre national de la littérature pour la jeunesse-La Joie par les livres... c’est un peu long et compliqué, mais c’est la rançon du succès. Cette exposition constituait donc à la fois une reconnaissance du travail accompli par la JPL et une légitimation du livre pour enfants, longtemps « demeuré hors du champ de l’histoire de l’édition car n’éveillant que très peu l’intérêt des historiens du livre, et resté jusqu’à une date récente en marge des collections patrimoniales, notamment celles de la Bibliothèque nationale de France » (Corinne Gibello-Bernette, p. 17).
Le catalogue de l’exposition est largement à la hauteur de l’événement, avec ses 580 pages, son format atypique (18 x 21 cm), sa couverture jaune et ses silhouettes s’envolant des pages d’un livre, ses 250 illustrations qui retracent plus de quatre siècles de livres pour enfants. Ces pièces, couvertures et extraits d’ouvrages, photos (notamment de livres-objets), planches et dessins originaux, affiches – mais aussi poupées, ours en peluche, « joujou instructif », ou encore l’ABC de Babar en six feuilles à déplier, p. 185… – proviennent des collections de la BnF, de la JPL, d’institutions et de collections privées. Présentées, après un premier ensemble introductif et chronologique, selon le parcours de l’exposition en trois parties qui suivent les étapes de l’enfance – « Du bébé à l’enfant lecteur : à la découverte du livre », « Le livre exploré » et « Grands enfants et petits adultes : les enjeux » –, elles sont accompagnées de notices précises et documentées (contexte, histoire des éditeurs, des collections, postérité des personnages, etc.), rédigées par Corinne Gibello-Bernette, Carine Picaud et Olivier Piffault, commissaires de l’exposition. L’ouvrage aurait pu s’en tenir là, il aurait largement et brillamment rempli son office de catalogue d’exposition.
Mais il va beaucoup plus loin, en laissant une large place aux contributions des plus grands spécialistes de la littérature de jeunesse, qui embrassent l’ensemble de l’histoire du livre pour enfants et de ses problématiques en tant que champ d’étude. L’ensemble introductif s’articule ainsi autour de « Brève(s) histoire(s) du livre pour enfants en France : de l’Orbis sensualium pictus aux Trois brigands, 1658-1968 » (Corinne Gibello-Bernette). Dans les trois parties, les études sur les genres et leurs évolutions, livres pour les bébés (Marie-Claire Bruley), livres de l’oralité (Évelyne Resmond-Wens), abécédaires (Marie-Pierre Litaudon), albums (Annie Renonciat), BD (Olivier Piffault), presse (Alain Fourment), documentaire (Françoise Hache-Bissette), livres rares et précieux (Carine Picaud) sont complétées par des études sur des questions plus transversales, telles que « Paradoxes du réalisme et enjeux littéraires dans le roman pour la jeunesse » (Françoise Ballanger), « Échanges et passerelles : vers un public adulte et enfantin » (Francis Marcoin), « Présence de la traduction » (Isabelle Nières-Chevrel), « Édification, prescriptions et censure ou comment instrumentaliser la littérature de jeunesse » (Jean-Yves Mollier), « Littérature de jeunesse et pédagogie : un couple agité mais inséparable » (Max Butlen) ou « Mais que lisent-ils vraiment ? Best-sellers et lectures réelles des enfants et des adolescents » (Nic Diament), et sur les enjeux de l’adaptation cinématographique (Laurent Aknin) et du développement de la littérature numérique (Olivier Piffault). S’il ne peut être question ici d’entrer dans le détail de ces études, la qualité des auteurs réunis et l’ampleur des thématiques abordées sont en elles-mêmes impressionnantes.
Enfin, à l’intérieur de ces études, des « encadrés » d’Olivier Piffault apportent des éclairages sur des points précis (« Les dames de chez Hachette »), des compléments d’informations, des portraits (Nicole Claveloux, Heidi…), etc.
Certes, ce foisonnement de textes de différentes natures ne favorise pas une lecture linéaire, et leur articulation oblige fréquemment à une gymnastique mentale et manuelle. Mais celle-ci est facilitée par les différents outils mis à disposition – typographies différentes, renvoi aux numéros des notices lorsqu’un ouvrage est cité, annexes comportant des repères chronologiques, un index des auteurs cités, une bibliographie sélective… Et c’est précisément cette multiplication des éclairages et des points de vue, ce dialogue entre le texte et l’illustration qui font la richesse de cet ouvrage, remarquable somme sur la littérature de jeunesse.